Pachinko, Apple TV+
Le huitième épisode de la première saison de Pachinko se termine sur des extraits d’interview de femmes originaires de Corée qui ont émigré au Japon dans les années 1920 ou 1930 et qui ne sont pas reparties dans leur pays après la Seconde Guerre mondiale. En clôturant sa première partie sur ces images, la série créée par Soo Hugh termine de surprendre, comme si elle cherchait à révéler son véritable sujet à la toute fin. Avant cela, la création d’Apple TV+ a déployé huit épisodes d’une heure d’une densité assez folle et avec le pari toujours difficile à relever de toucher à l’universel par l’intime. Pachinko n’est pas aisée à résumer, c’est tout à la fois une fresque historique qui s’étale sur plusieurs décennies, le récit d’une famille de Coréens émigrés au Japon à travers les générations et les histoires de femmes qui ont survécu au sein d’un milieu hostile. C’est une page des histoires coréenne et japonaise que l’on connaît mal et c’est encore une touchante histoire personnelle.
Pachinko ouvre chaque message par un avertissement. La série a été tournée dans trois langues différentes : un petit peu d’anglais et principalement un mélange assez égal de japonais et coréen. Seule la version originale est proposée et ses créateurs ont imaginé une solution originale pour les sous-titres, avec une couleur différente par langue. Une excellente idée pour les occidentaux qui auront du mal à distinguer les langues, entremêlées au sein des mêmes phrases, avec parfois un seul mot emprunté à une autre langue. Ce dispositif n’est pas gratuit, il est même central pour bien comprendre l’histoire portée par Apple TV+. Tous ces personnages sont coincés entre plusieurs pays et plusieurs cultures. Ils ne sont plus tout à fait Coréens sans être entièrement Japonais et la génération suivante complique encore la situation, avec un personnage qui a aussi un pied aux États-Unis. Ce qui m’a le plus frappé, c’est que peu importe l’époque ou le lieu, ces personnages sont toujours rabaissés par la bêtise humaine et le racisme ambiant. Pachinko évoque une situation qui se déroule de l’autre côté du monde par rapport à moi, mais comment ne pas penser à notre relation avec le Maghreb ? Les rapprochements sont troublants et ils peuvent servir de point d’appui pour mieux apprécier le roman de Min Jin Lee qui a été adapté ici.
Outre l’histoire de la colonisation japonaise de la Corée, Pachinko raconte aussi des parcours personnels et en premier lieu celui de Sunja, personnage principal de la série. On la suit depuis son enfance en Corée jusqu’à la fin de sa vie au Japon dans les années 1980, et par l’intermédiaire de ses premiers pas compliqués dans le Japon des années 1930 où elle arrive avec son mari pasteur. Les huit épisodes établissent petit à petit toute une vie, en basculant constamment d’une époque à une autre avec une belle maîtrise du montage. Comme dans toutes les fresques de cette ampleur, il faut un petit peu de temps pour s’adapter et tisser les liens entre chaque époque, mais c’est aussi une bonne partie du plaisir de Pachinko. Le scénario ne donne immédiatement pas tous les éléments pour comprendre, si bien qu’il faut se laisser porter et accepter de rester dans le flou au départ. Mais quand le puzzle se constitue enfin, la réussite de l’ensemble n’apparaît alors que plus distinctement et c’est bluffant.
Ajoutez à cela un casting impeccable, Youn Yuh-jung en tête, ainsi qu’une photographie sublime et des reconstitutions historiques de grande qualité et vous obtenez une grande série. Apple TV+ a renouvelé sans attendre Pachinko et on comprend sans peine pourquoi : le service tient une pépite et on a hâte de découvrir la suite des histoires de Sunja et de toute sa famille et de comprendre peut-être mieux pourquoi la série porte ce titre1. D’ici là, ne passez pas à côté de cette première saison, aussi passionnante qu’elle peut être touchante.
Les pachinko sont des machines à sous très populaires au Japon, mais même si elles apparaissent une fois ou deux dans cette saison, le lien est encore loin d’être évident. J’imagine que la suite le renforcera. ↩︎