La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, Canal+
Pour la première fois, Xavier Dolan passe derrière la caméra pour le petit écran. C’est la première fois que le réalisateur canadien crée une série et fidèle à son habitude, le prodige ne s’est pas contenté de poser son nom et de diriger un épisode en passant. La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé a été écrite, réalisée, montée et même jouée par Xavier Dolan, qui reprend un grand nombre de casquettes et s’implique à fond, comme pour ses longs-métrages. Les fans, dont l’auteur de ces lignes, ne seront pas dépaysés : ces cinq épisodes qui tournent tous autour d’une heure sont indéniablement ses créations, avec ses tics stylistiques, la musique prépondérante1 et même le choix des sujets. Ce n’est aucunement une critique de ma part, bien au contraire même. En apportant tout son savoir faire dans cette série, le cinéaste propose presque plus un long-métrage de plus de cinq heures et c’est très bien ainsi. Tenue par une tension constante, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé est une excellente série que vous auriez tort de bouder.
La série est adaptée d’une pièce éponyme de Michel Marc Bouchard, dramaturge québécois que Xavier Dolan avait déjà croisé avec son adaptation de Tom à la Ferme. On y retrouve toutes les thématiques qui lui sont chères, à commencer par les histoires de famille, puisque c’est bien de cela qu’il s’agir. La série débute avec la fin de vie de Madeleine Larouche, dite Mado, interprétée par une Anne Dorval que l’on a plaisir à retrouver dans un rôle de mère2. Sa mort réunit toute la famille, y compris Mireille, dite Mimi, qui est partie pour Montréal il y a plus de vingt ans et qui est en froid depuis. Tout se construit sur cette situation conflictuelle, avec un scénario qui revient dans le passé, à cette fameuse nuit où le Laurier (c’est un prénom, oui) du titre s’est réveillé. Que s’est-il passé au juste pendant cette nuit ? Xavier Dolan ne vend pas la mèche tout de suite et fait même patienter jusqu’à l’épisode ultime pour tout raconter et même si j’ai assez rapidement compris de quoi il retournait3, cela ne gâche rien au plaisir. La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé parvient à maintenir un suspense constant d’un bout à l’autre, les passages d’une époque à l’autre sont bien gérés et le puzzle est ainsi lentement reconstitué. Un joli travail de montage, qui ajoute beaucoup de profondeur à l’ensemble.
Profondeur aussi sur le propos, même si le réalisateur a choisi de ne pas l’aborder frontalement. L’homophobie est présente dès les premières secondes, avec cette séquence inaugurale où un jeune gay est abandonné nu au pied du drapeau arc-en-ciel enflammé par les salopards qui l’ont violenté. Cela n’a pas vraiment de rapport avec la suite, mais Xavier Dolan veut faire passer un message avant d’introduire ses personnages et son intrigue. Sans lien au départ, même si le spectateur réalise au fil des épisodes qu’il y a bien un rapport direct entre ce qui arrive à ce jeune et ce qui est arrivé aux Larouche depuis plus de vingt ans. Je n’en dirai pas plus, si ce n’est pour signaler la force du message qui éclate dans le dernier épisode. La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé se termine presque abruptement, mais je crois que c’était voulu et assumé de la part de son créateur. Inutile de s’appesantir sur la fin, tous les éléments sont en place pour que vous réalisiez l’horreur de la situation, le coût effarant de tous ces mensonges au nom d’une idée absurde. C’est poignant et juste, une vraie réussite de Xavier Dolan que j’espère revoir dans ce format plus long qui lui convient bien.
Une bande-originale composée comme toujours chez lui de titres existants, dont l’excellente reprise au piano de « Where is my Mind ? » par Maxence Cyril que j’avais tant aimée dans The Leftovers, et de morceaux nouveaux. Et surprise cette fois, le nom de Hans Zimmer au générique ! De fait, la série adopte une ambiance musicale digne de Hollywood, un effet que j’imagine entièrement recherché par le réalisateur. ↩︎
Xavier Dolan lui avait déjà offert ce rôle dans J’ai tué ma mère, son tout premier et excellent long-métrage, mais je retiendrais surtout sa performance éblouissante dans Mommy. ↩︎
Alerte divulgâchage naturellement. J’ai vite pensé que l’histoire de viol de Mireille était louche, notamment parce que son frère Julien n’aurait pas pu être là si vite. Ajoutez à cela la séquence d’ouverture sur l’acte homophobe et la conclusion s’est rapidement imposée : il semblait bien plus probable que la sœur a vu son frère avec Laurier et que le viol était un mensonge pour couvrir sa bisexualité. ↩︎