Master of None, Netflix (saison 3)
Quelle série ! Master of None a commencé avec une première saison qui ressemblait un petit peu à un remake de Friends, mais avec déjà une ambition artistique nettement plus élevée que la simple sitcom et avec un sens de l’émotion que l’on n’attendait pas dans une comédie. Loin de s’arrêter là, Aziz Ansari a au contraire poussé encore plus loin dans une deuxième saison qui s’éloignait de la série télévisée traditionnelle pour basculer dans une collection de courts-métrages, y compris des hommages à des grands cinéastes italiens avec des épisodes en noir et blanc et quasiment sans anglais. Depuis, un long silence radio jusqu’à la sortie courant 2021 d’une troisième saison sous-titrée « Moments in Love ». Et c’est encore une fois une grosse surprise : cinq épisodes qui oscillent entre une vingtaine de minutes et une heure, tous centrés sur Denise et son épouse Alicia. Des tranches de vie où le créateur et comédien ne fait que passer, l’humour n’est désormais qu’un vague souvenir et la série n’hésite pas à rester dans l’émotion pure et un format qui évoque le travail d’Ingmar Bergman… l’esprit de la sitcom est bien éloigné.
La forme, c’est sûrement ce qui frappe le plus quand on lance le premier épisode de cette nouvelle saison. Master of None avait déjà fait preuve d’une grande liberté dans ce domaine, mais Aziz Ansari pousse encore un petit peu plus le bouchon en tournant avec une caméra 16 mm, du film et un ratio 4/3. Loin de l’image parfaite que les caméras modernes peuvent produire, il opte pour une image un petit peu sale, granuleuse, voire carrément floue, mais rien n’est laissé au hasard. La saison est entièrement composée de plans statiques et souvent longs, si bien que chaque cadre est réfléchi et soigné. En posant ainsi une unique caméra et en laissant les acteurs agir librement dans le plan, le créateur opte pour un rythme lent et apaisant. Mieux vaut le savoir, vous devrez vous poser devant Master of None et prendre le temps d’apprécier le développement d’une intrigue assez menue. Ici, ce n’est pas l’action qui compte, mais bien les personnages, qui ont tout loisir d’exister et que vous aurez l’impression de connaître après seulement cinq épisodes.
Un tel programme pourrait conduire à une série prétentieuse, mais c’est tout le contraire. Master of None surprend au contraire par sa légèreté et la simplicité de son dispositif. La caméra se pose dans cette grande et sublime maison supposément localisée autour de New-York1 et le couple formé par Denise, personnage jusque-là secondaire, et sa femme Alicia peut évoluer librement. Non pas que ce soit de l’improvisation, mais le rendu est parfaitement naturel, presque comme si on regardait un documentaire et non une fiction. Je ne veux pas dévoiler l’histoire des deux femmes, je pense en effet qu’une grande partie du plaisir de cette troisième saison vient de la découverte progressive de leur parcours. Je voudrais simplement relever que si la série est née sous le signe de l’humour, ce n’est plus du tout la priorité ici. Aziz Ansari, aidé à l’écriture par Lena Waithe qui incarne aussi Denise, emprunte un chemin nettement plus ambitieux en écrivant des personnages complexes, mus par des émotions variées, capables de faire des erreurs et d’avancer dans la vie malgré tout. Il n’y a rien d’exceptionnel qui est narré ici, mais le fond est à la hauteur de la forme : précis, juste et touchant.
Cette plongée dans l’intimité d’un couple est magnifique et mérite indéniablement le détour, même si vous n’avez pas vu les deux saisons précédentes d’ailleurs. Master of None a atteint des sommets que je n’aurais pas envisagé après une première saison somme toute assez classique. Ces cinq épisodes s’éloignent de la série traditionnelle pour former un long-métrage découpé en cinq parties et on s’approche de la perfection. Lena Waithe est géniale, sans surprise, et Naomi Ackie est tout aussi bonne à ses côtés, si bien que les deux actrices sont pour beaucoup dans la réussite de cette conclusion. Mais c’est l’ensemble qui est parfaitement mené, avec une image sophistiquée et en même temps si simple. Quelle conclusion magistrale pour Master of None et quel brillant parcours pour Aziz Ansari dont je compte bien suivre la carrière de près.
En réalité, et arrêtez-là si vous ne voulez pas gâcher la magie du cinéma, la saison a été tournée dans un studio londonien. Je dois dire que c’est admirablement réalisé, on se croirait vraiment dans la campagne new-yorkaise. ↩︎