Chef’s Table : Pizza, Netflix
Depuis 2015, David Gelb continue de dresser des portraits splendides et un poil ampoulés de chefs. Chef’s Table a imposé une formule unique, avec une image plus soignée que dans la moyenne des documentaires, des ralentis magnifiques et des histoires de cuisiniers et cuisinières qui font la part belle aux récits personnels, plus qu’à leur cuisine. Faisant suite à sept saisons « classiques » où des chefs de tous les horizons se succédaient face à la caméra, la création de Netflix essaie de se diversifier en s’intéressant à des thématiques précises. Après le barbecue, place cette année à… la pizza ! Le plat le plus populaire au monde méritait sans doute une saison entière et les six portraits sont inégaux, comme toujours, mais je reste un grand amateur pour les pépites qui débarquent à l’improviste.
Le premier épisode de la saison est aussi le moins intéressant et j’ai failli ne pas aller plus loin. Chris Bianco, pizzaïolo de Phoenix en Arizona, célébré comme le meilleur des États-Unis, mais qui réalise des pizzas au fond assez banales, à l’image des déclarations qui l’entourent. Restez néanmoins, car Chef’s Table: Pizza gagne en intérêt, avec deux tendances opposées. D’une part, en retournant aux sources à travers les portraits de deux italiens radicalement différents. Gabriele Bonci est un maître de la pizza romaine bien épaisse et généreuse, une star de la télévision et un cuisiner hors pair, qui utilise la pizza comme un support pour des produits frais, locaux et des associations originales. Franco Pepe représente la pizza napolitaine, mais depuis son village typique de Caiazzo, il ne respecte pas les traditions séculaires, il les explose avec virtuosité, à l’image de sa Margherita Sbagliata qui revisite le classique d’entre les classiques en laissant les tomates crues. Ces deux épisodes sont riches et passionnants grâce aux personnalités des chefs et aussi l’occasion de redécouvrir les racines de la pizza.
Mais comme toujours avec la création de David Gelb, Chef’s Table: Pizza intéresse encore davantage en sortant des sentiers battus. En évoquant le parcours de deux femmes qui se sont lancées dans la pizza presque par hasard, que ce soit Ann Kim à Mineapolis ou Sarah Minnick à Portland. Ce sont deux femmes très différentes, la première est issue de l’immigration coréenne qui s’est vue reniée par ses parents lorsqu’elle a commencé à travaillé en cuisine — de la prostitution à leurs yeux. La deuxième s’est mise devant un four à pizza parce qu’elle avait été déçue par plusieurs chefs et qu’elle voulait expérimenter ses propres idées. Ce que je retiens du duo, c’est leur liberté créatrice. Ann Kim met du kimchi sur ses pizzas et Sarah Minnick met en avant ses pizzas « sans conneries macho », avec des recettes végétariennes, jamais de sauce tomate et des associations jamais vues. Vous n’aimez pas la pizza avec de l’ananas ? Alors que diriez-vous du pourpier, des tomates fermentées ou même de… fleurs ? Sans carte fixe, elle s’inspire uniquement du marché et tente les idées même les plus folles, une vision trop rare dans le monde de la pizza.
Le clou du spectacle, comme souvent, est toutefois venu du Japon. L’épisode consacré à Yoshihiro Imai est le plus bluffant de tous. La pizza n’est pas le plat que l’on associe naturellement au pays, mais il en est tombé amoureux un petit peu par hasard lui aussi, en découvrant la simplicité de la recette pour faire du pain maison. Il a ouvert son propre restaurant à Kyoto et il est comme on peut l’imaginer : minuscule, avec une dizaine de couverts au maximum et une cuisine ouverte derrière laquelle le chef prépare toutes les assiettes. Et où se trouve un grand four à bois qui lui sert à cuire ses pizzas composées uniquement de produits frais et locaux. Il sort forcément des sentiers battus et propose des créations qui donnent envie, à l’image de cette pizza très simple aux champignons sauvages, ou cette autre à base de truites confites, ou encore une composée uniquement d’herbes. Il a même réinventé le concept de la cérémonie du thé, en remplaçant le riz par de la pizza.
En sortant ainsi des sentiers battus, Chef’s Table: Pizza ouvre des perspectives que l’on n’imaginait pas. Ça a toujours été la force de la série et cette saison ne m’a finalement pas déçu.