Wang, Pierre Bordage

Wang, Pierre Bordage

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Je me souviens avoir lu les deux romans originaux qui composent la série Wang pour la première fois au lycée et j’avais été impressionné par l’univers imaginé par Pierre Bordage. Radicalement sombre et désespéré, hyper réaliste et même presque insupportable par moment. Bien des années après, j’ai profité d’une réédition en un seul volume chez L’Atalante pour me replonger dans cet univers, avec une véritable curiosité pour vérifier s’il tenait encore la route. Le bilan est contrasté. D’un côté, la dystopie crasseuse imaginée par le romancier reste éprouvante par endroits, tant elle est décrite avec précision et réalisme. Tout le départ en Pologne, avant que le héros Wang passe en Occident, est en particulier très fort. Si fort que j’ai failli abandonner dès les premières pages, quand le romancier décrit un petit peu trop précisément le viol d’une jeune fille de 16 ans, avant de basculer sur la description encore plus précise d’une scène de sexe avec le héros. Ce dernier est censé avoir à peu près le même âge, ce qui n’a pas éliminé dans mon esprit l’impression de lire un récit vieillot et indéniablement écrit par un homme d’une autre génération, disons.

J’ai poursuivi malgré tout ma lecture, en grande partie parce que je me souvenais que la suite était assez différente. De fait, Wang raconte le parcours de l’émigré dans un Occident qui s’est barricadé derrière le REM, un rideau électromagnétique qui entoure entièrement l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord, jusqu’à la Grèce et Israël. L’intrigue se déroule deux siècles après notre présent et cette manière de représenter de façon littérale nos sociétés refermées sur elles-mêmes est assez forte. Bien sûr, on ne peut pas oublier qu’il s’agit d’un roman écrit dans les années 1990, qui se construit sur une idée assez dépassée des réseaux comme internet et qui imagine en guise de successeur au téléviseurs des cabines dans lesquelles on s’installe nus pour appliquer des capteurs chargés de transmettre des émotions. Lire ces principes alors même qu’Apple vient de sortir son Vision Pro est assez cocasse, mais c’est normal de constater un décalage entre la science-fiction et la réalité. Et je dois reconnaître que ce n’était pas gênant, pas autant qu’une géopolitique au fond assez simpliste. Les blocs imaginés par Pierre Bordage sont assez grossiers, pour ne pas dire racistes d’ailleurs, et ils m’ont semblé peu crédibles. J’ai mieux apprécié la logique générale de ce monde enfermé sur lui-même, qui dépend de migrants en grand nombre, des migrants qui sont marqués avec un appareil qui peut les tuer à tout moment pour assurer leur servilité. C’est le capitalisme le plus cynique poussé à son extrême et j’ai trouvé le concept toujours aussi intense, même s’il est peut-être un poil trop aisément contourné sur la fin.

‌Au bout du compte, si je ne regrette pas d’avoir relu Wang, je n’ai clairement pas retrouvé les sensations du jeune lecteur que j’étais. Sans doute parce que ma vision du monde a gagné en complexité et que celle proposée par Pierre Bordage me semble en comparaison un peu faible. Certainement parce que ma sensibilité a évolué et que les remarques sexistes passent nettement moins bien à mes yeux. Sans être mauvais, je ne suis pas sûr non plus que je recommanderais le roman, même si l’édition brochée de L’Atalante est superbe et très agréable à lire.

Informations

  • Auteur :
  • Pierre Bordage

Éditeur : L'Atalante

Année : 2019

Nationalité : France

Pages : 672