Les Souvenirs de la Glace, Steven Erikson
Plus la saga avance et plus les tomes semblent s’allonger. Les deux premiers volets du Livre des Martyrs n’étaient déjà pas particulièrement courts et il étaient en outre si inutilement compliqués, surtout le premier, que j’avais été tenté à plusieurs reprises d’abandonner en cours de route. J’avais tenu bon, parce que l’univers est d’une richesse rare et parce que Steven Erikson a des idées que je n’avais jamais lues ailleurs, ce qui n’est pas rien dans le monde si encombré de l’heroïc-fantasy. Fort heureusement, l’auteur semble prendre en confiance en lui, suffisamment pour éliminer progressivement un style gratuitement obscur. Le deuxième tome était déjà plus simple à suivre malgré quelques épisodes obscurs. C’est nettement mieux avec Les Souvenirs de la Glace, un troisième volume nettement plus long et aussi nettement plus simple.
Que l’on se comprenne bien, Steven Erikson n’a pas tout abandonné pour écrire un énième roman pour « jeunes adultes », comme on dit désormais. Du haut de ses près de 1 200 pages, Les Souvenirs de la Glace reste une œuvre massive et complexe, qui suit des dizaines de personnages et demande une implication permanente de son lecteur. Cela étant posé, j’ai noté des progrès bien nets par rapport aux précédents. Pour commencer, on retrouve plusieurs personnages découverts dans Les Portes de la Maison des Morts, une belle surprise qui permet de trouver ses marques plus rapidement. Les Bruleurs du Pont sont en effet de retour et avec eux tous les Malazéens et leur guerre qui était déjà au cœur du premier roman. Ensuite, si le romancier débute avec plusieurs intrigues séparées, il les réunit à un moment charnière de l’histoire, qui se termine ainsi en se concentrant sur un seul lieu et une seule action principale. Grâce à cette simplification, suivre ce qui se déroule est indéniablement plus facile et j’ai beaucoup plus apprécié cette suite. Comme je le pensais depuis ma découverte de la saga, cette simplification ne se fait pas au détriment de la profondeur de l’univers, qui reste toujours aussi sophistiqué et original, avec une sorte de jeux d’échecs entre dieux qui vient bousculer le sort des personnages.
Steven Erikson a aussi amélioré ses talents de conteur, avec des séquences de combats et des batailles épiques qu’on rêverait de voir sur grand écran, et surtout de dialogueur. Les discussions entre personnage ont gagné en naturel et par extension, les psychologies sont plus convaincantes. Le lecteur peut ainsi mieux comprendre les motivations de chacun, même s’il ne sait jamais si elles sont sincères, ce qui est très agréable. Loin de tomber dans le manichéisme, l’écrivain parvient à mon sens à mieux développer son monde et à le rendre plus accessible, sans remettre en cause les fondamentaux. Il décrit aussi davantage les personnages, ce qui est essentiel quand il y a si peu d’humains et tant de créatures imaginaires. Pour la première fois, on peut se faire une meilleure idée des mensurations ou simplement des couleurs de peau, ce n’est pas trop tôt. Avec Les Souvenirs de la Glace, la saga me semble ainsi avoir un écrin à la hauteur de son ambition. J’espère que ce n’était pas qu’un accident et pour en avoir le cœur net, je compte bien lire la suite.