Le Souffle du Moissonneur, Steven Erikson

Le Souffle du Moissonneur, Steven Erikson

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Pour une fois, un roman commence juste là où se terminait le précédent, c’est suffisamment rare dans la saga pour le souligner. Si la partie letheriie est celle qui m’avait le moins plus dans Les Osseleurs, elle devient centrale ici puisque toute l’intrigue se déroule à Lether, ce qui change tout. L’Empire a été conquis par les Tiste Edur qui ont gagné… enfin, en théorie du moins. Le Souffle du Moissonneur démontre brillamment comment un peuple s’est laissé envahir par des étrangers avec à leur tête un empereur immortel, ce qui est fatalement un argument fort en leur faveur, tout en gardant le contrôle de toutes les institutions et, in fine, sans réellement changer quoi que ce soit. J’ai beaucoup aimé cette idée et je trouve que Steven Erikson l’emploie à merveille, y compris bien plus tard dans ce septième tome, quand les Malazéens s’en mêlent et se décident à attaquer, pour une raison qui reste d’ailleurs assez mystérieuse. Encore une fois, tout ce qui précède est concentré en un seul volume et je dois reconnaître que l’ambition folle de l’ensemble paie ses fruits à cet égard. Le Livre des Martyrs est une saga d’une complexité assez incroyable, mais quand on retrouve des personnages croisés parfois depuis le début que l’on connaît de ce fait si bien, cela paie. Il y a de très bons moments dans ce roman, drôles avec Tehol Beddict et son serviteur Bugg à Lether, sérieux — peut-être un peu trop à mon goût d’ailleurs — avec Trull Sengar ou alors les derniers soldats de Malaz ou encore épiques, même si les pauvres dragons n’ont pas tellement eu le temps de s’exprimer.

Prendre le lecteur à rebrousse-poil a toujours été un talent du romancier canadien, qui a trouvé ici un beau sens de la surprise avec la magie. Depuis le début de sa saga, Steven Erikson a essayé de renouveler le genre à tous les niveaux, en imaginant des formes de magie différentes et surtout en créant tout un univers autour des garènes. Un élément clé de ce dispositif, c’est le caractère imprévisible et il est parfaitement représenté ici, avec des attaques impressionnantes qui se soldent parfois sur un échec ou obtiennent l’effet inverse. D’autres fois, ces attaques peuvent mettre directement terme à un conflit qui aurait été épique partout ailleurs, comme si l’auteur ne voulait jamais donner au lecteur ce qui l’attend. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer à quel point cette stratégie pouvait aussi être frustrante, mais il faut admettre qu’elle apporte aussi des résultats intéressants. La conquête malazéenne est un bon exemple, avec un mélange de bravoure renforcée par des personnages que l’on connaît désormais bien et un côté totalement ridicule en même temps. Ils débarquent en se considérant comme des sauveurs, pour réaliser que les Letherii n’ont jamais perdu et que les Tiste Edur ne pensent qu’à partir : Le Souffle du Moissonneur joue constamment des contrastes et c’est agréable en tant que lecteur de n’avoir aucune idée où le récit nous mènera.

Malgré tous ces points positifs, Steven Erikson reste tout aussi frustrant qu’il l’a toujours été. Il y a beaucoup d’intrigues dans cet épais roman qui dépasse les mille pages, probablement bien trop pour son propre bien. Tous ces fils rouges ne sont pas aussi intéressants et j’ai même fini par abandonner tout espoir de comprendre certains, en particulier ceux liés aux Ascendants que j’ai systématiquement lus en diagonale. Je me demande aussi bien ce qu’Icarium et Karsa Orlong sont venus faire dans cette galère, ils ne servent à rien pendant la majorité du roman et interviennent finalement sur un point majeur, sans que cela ne change quoi que ce soit. Les histoires de dragons m’ont aussi profondément ennuyées et je n’ai toujours pas compris ce que Masquerouge apportait à l’ensemble. Plus encore que les tomes précédents je crois, j’ai picoré Le Souffle du Moissonneur, passant des pages entières par endroits pour mieux me concentrer sur ce qui m’intéressait. Plus encore que les livres précédents, j’ai aussi hésité à abandonner ma lecture en cours de route. Pas tant pour ces intrigues ennuyeuses, plus pour la maladresse du romancier envers ses rares personnages queer. Du moins, j’espère que ce n’est que de la maladresse, mais qu’un personnage gay soit une ordure de la pire espèce qui viole ses prisonniers et prend plus de plaisir s’ils sont vraiment très jeunes me gêne vraiment. Ce n’est pas comme si c’était un parmi tant d’autres : l’amour et le sexe hétérosexuels sont partout, à un point où cela devient risible d’ailleurs, pour ne pas dire embarrassant. Les relations homosexuelles sont rarissimes, voire inexistantes, alors les voir associées à des comportements si odieux est un vrai problème. Sans aller jusqu’à penser que Steven Erikson est homophobe, j’espère que le romancier se tiendra éloigné des relations charnelles à l’avenir, cela ne lui réussit pas du tout.

Informations

Saga : Le Livre Des Martyrs

  • Auteur :
  • Steven Erikson

Éditeur : Éditions Leha

Année : 2021

Nationalité : Canada

Pages : 1056