Les Marées de Minuit, Steven Erikson

Les Marées de Minuit, Steven Erikson

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Imaginez un écrivain qui construit patiemment un univers heroïc-fantasy aussi complet que complexe, qui imagine des empires immenses, des guerres monstrueuses et qui établit le long de quatre longs et denses romans une époque, des lieux et des personnages qui petit à petit deviennent familier. Pour le cinquième roman de sa saga, vous vous dites qu’il va évidemment poursuivre sur cette lancée et ajouter des briques à ces fondations désormais solides. Sauf qu’il n’y a rien d’évident avec le travail de Steven Erikson qui décide plutôt, pour Les Marées de Minuit de partir ailleurs, à une autre époque et avec des personnages dont on ne sait rien1. Ne jamais aller où on l’attend, surprendre à toutes les pages… le lecteur qui a tenu jusque-là avec Le Livre des Martyrs sait normalement à quoi s’attendre, si bien que je n’étais même pas tellement surpris en découvrant cette histoire à part, bien dans le passé et sur un tout autre continent qui n’a absolument aucun lien géographique avec les lieux patiemment découverts auparavant. C’est déroutant, évidemment, et en même temps assez libérateur, puisque ce roman se suffit forcément à lui-même à ce stade de la saga, tout en apportant quelques éclairages intéressants sur l’univers.

Steven Erikson avait vraiment du mal à imaginer et faire parler ses personnages, c’était le principal point noir des premiers romans dans la saga et en particulier des Jardins de la Lune. C’est en forgeant que l’on devient forgeron, dit le dicton populaire, et pour le coup, cela s’applique assez bien au romancier. Il s’améliore de tome en tome et ici parvient à un bien meilleur niveau, avec des personnages fouillés et même convaincants, avec des personnalités bien marquées plutôt que de simples noms d’individus par ailleurs indistincts, forçant à les retrouver dans une longue liste pour se rappeler de leurs positions. J’étais frappé par la variété des personnages, avec même un sens du comique du côté de Tehol et Bugg que je n’attendais certainement pas à retrouver. Les Marées de Minuit m’ont parfois évoqué le travail de Terry Pratchett, avec Letheras à la place d’Ankh-Morpork et même si le canadien est encore loin du talent comique de son homologue britannique, j’ai beaucoup aimé ces passages. De même, j’ai apprécié le parcours de Trull Sengar dans l’autre camp, avec un vrai parcours psychologique qui fait que l’on s’attache et qui simplifie la lecture.

Mis bout à bout, ces bons éléments m’ont permis de trouver ce volet bien meilleur. Pour une fois, je n’ai pas été au bout seulement parce que j’étais impliqué dans cet univers à la richesse folle, je l’ai terminé en voulant savoir ce qui arrivait aux personnages et sincèrement curieux de qui arrive ensuite. Les Marées de Minuit est à cet égard une réussite et me donne de l’espoir pour la suite, que je compte bien lire, surtout maintenant que je suis arrivé à la moitié de la saga. Même s’il se déroule à une autre époque et à un autre endroit, ce tome a évidemment de multiples liens avec le reste et constitue une fondation importante dans les règles du jeu de cet univers plein de magie et de dieux en conflit. Des personnages importants ont ainsi été révélés ici et j’imagine que l’empire de Lether continuera de jouer un rôle dans les épisodes qui viendront. Steven Erikson glisse aussi quelques détails bienvenus, que ce soit sur l’histoire des Tiste Edur ou même le fonctionnement des garennes, un concept jusqu’ici toujours très flou et qui le reste grandement, tout en levant le voile sur quelques détails appréciables. Espérons que cette bonne tendance se confirme avec les prochains romans !


  1. À une exception près, tout de même, Trull Sengar étant déjà apparu dans La Maison des Chaines, où il ne m’avait toutefois pas laissé un souvenir impérissable. Cela aurait été sans doute différent si j’avais appris à le connaître avec ce tome, mais si les choses pouvaient être si simples chez Steven Erikson, cela se saurait. ↩︎

Informations

Saga : Le Livre Des Martyrs

  • Auteur :
  • Steven Erikson

Éditeur : Éditions Leha

Année : 2020

Nationalité : Canada

Pages : 896