Klara et le Soleil, Kazuo Ishiguro

Klara et le Soleil, Kazuo Ishiguro

Publié le

Chaudement recommandé, Klara et le Soleil est le premier roman de Kazuo Ishiguro que j’ai lu. Je ne sais pas si c’est coutumier chez ce romancier britannique d’origine japonaise, mais ce qui m’a le plus frappé pendant ma lecture, c’est la subtilité avec laquelle il aborde un univers qui devrait m’être si familier, un univers de science-fiction dystopique. Sans aller jusqu’à penser que j’aurais pu passer à côté, le style et la manière d’introduire les personnages et les situations sont si différents de ce que j’ai la coutume de lire que j’avais presque le sentiment de lire un récit d’un tout autre genre. Pourtant, il est bien question de robot intelligent et d’une société injuste à cause de progrès technologiques, la base d’un grand nombre de dystopies.

Toute la différence est l’affaire du point de vue. Klara et le Soleil adopte celui de Klara, une « amie artificielle » toujours nommée AA, et non celui de Josie, la fille de la famille qui achète cette androïde. En adoptant le point de vue du robot, Kazuo Ishiguro inverse toute la logique humanocentrée la plus habituelle en science-fiction. On découvre ce monde à travers les yeux de Klara et notre compréhension de cet univers à la fois familier et différent se limite strictement à ce qu’elle comprend. La première partie du roman se déroule ainsi depuis la boutique d’AA où elle se trouve et on ne comprend que très progressivement ce qui se passe, avec une extension des connaissances de Klara autant que les nôtres quand le petit robot est déplacé pour passer en vitrine. L’auteur a trouvé le ton juste pour son personnage principal, à mi-chemin entre l’analyse froide d’une intelligence artificielle et le ton enfantin de la petite fille qu’elle incarne. Ce ton, parfaitement conservé dans la traduction française d’Anne Rabinovitch, est un point fort du roman, il crée une distance et ajoute une note d’originalité dans ce qui aurait pu n’être qu’une énième dystopie sans intérêt. Jusqu’au bout, Klara et le Soleil ne casse jamais cette règle et reste sur le point de vue du robot sans jamais étendre l’univers au-delà de ce qu’elle voit et sans jamais l’expliquer totalement. Et vous savez quoi ? C’est non seulement bien suffisant, mais le roman aurait été nettement moins réussi s’il avait adopté un dispositif différent.

Ce choix permet aussi d’introduire une pointe de poétique, voire de fantastique, dans la relation si particulière entre Klara et le soleil. Comme toutes les AA, elle dépend de l’énergie solaire pour son alimentation et partant de ce postulat assez convenu en science-fiction, Kazuo Ishiguro imagine une forme de religion. L’androïde vénère l’astre avec une naïveté touchante et elle essaie de communiquer avec lui, comme on pourrait le faire dans n’importe quelle religion. Je ne veux pas trop en dévoiler sur la fin, mais le romancier exploite cette idée jusqu’au bout et avec une aura de mystère particulièrement bien amenée. De la même manière que le lecteur n’a qu’une poignée de rares informations sur l’univers inventé pour Klara et le Soleil, il n’a qu’une vision assez étroite du rôle du soleil dans l’intrigue. L’auteur préfère laisser l’imagination faire son travail plutôt que de répondre à toutes les questions. C’est vrai à tous les niveaux et il faut accepter de se laisser porter sans nécessairement tout comprendre, y compris quand les dernières pages arrivent. Si vous y parvenez, vous découvrirez un roman d’une richesse et d’une finesse rares, un vrai bonheur.

Informations

  • Auteur :
  • Kazuo Ishiguro

Éditeur : Editions Gallimard

Année : 2021

Nationalité : Royaume-Uni

Pages : 384