Les Jardins de la Lune, Steven Erikson

Les Jardins de la Lune, Steven Erikson

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Si un auteur prévient en préambule qu’il faut s’accrocher et que la suite n’est pas facile à comprendre, est-ce une raison suffisante pour tout excuser ? Ce préambule qui ouvre Les Jardins de la Lune, premier tome de l’immense série Le Livre des Martyrs qui impressionne du haut de ses dix tomes, est quelque chose d’assez étonnant d’ailleurs. Steven Erikson semble prêt à décourager tous ses lecteurs en prévenant qu’il ne fera aucun compromis en nous balançant au milieu d’un univers riche et complexe. En lisant cela, j’ai oscillé entre l’admiration pour son franc-parler et une once d’énervement pour son élitisme. Et puis, cela ressemblait à une carte un peu trop facile à jouer à ce stade : si je ne comprends rien, ce n’est pas l’auteur qui a mal fait son boulot, c’est moi qui suis stupide, au fond.

Passé cet étonnement initial, je me suis lancé dans ce premier tome de l’une des plus grandes sagas de heroic-fantasy qui soient, paraît-il. Et en lisant, je dois reconnaître que Steven Erikson n’a pas menti. Le romancier canadien, « archéologue et anthropologue de formation » comme le note l’éditeur en quatrième de couverture, a imaginé un univers indéniablement riche et complexe, avec de multiples forces en présence, des conflits qui se traînent depuis plusieurs siècles, de la magie, des dieux, des trahisons de toute part et encore bien d’autres choses. On trouve deux cartes au début, une liste de personnages de quatre pages et même un glossaire de sept pages (!) à la fin. Autant vous dire qu’on n’est pas là pour déconner et Les Jardins de la Lune ne fait strictement aucun effort pour vous aider. Il n’y a aucune indication générale en ouverture, c’est au lecteur de se dépatouiller pour comprendre les forces en présence, les alliances et avoir une idée même vague du rôle de chaque personnage. Au lieu de se concentrer sur une période courte et un espace restreint, le romancier préfère au contraire voir large, avec deux grands lieux différents et des mouvements complexes dont on n’a parfois qu’une idée vague. Alors oui, il faut être attentif et passer son temps à replonger dans la liste de personnages pour se rappeler qui est qui, ou retourner sur la carte pour essayer de comprendre les mouvements des troupes et des personnages.

On ne peut pas dire que Steven Erikson n’avait pas prévenu, mais était-ce nécessaire de faire aussi complexe ? Je suis le premier à apprécier un récit fictif qui plonge dans l’action sans préambule et surtout qui compte sur l’intelligence du lecteur ou spectateur pour tout comprendre. Mais Les Jardins de la Lune est confus sans raison et il me semble que c’est un défaut d’écriture, plus qu’un choix que l’on peut expliquer raisonnablement. Fallait-il vraiment multiplier ainsi les personnages et en introduire constamment de nouveaux, jusqu’à la toute fin ? Certes, cela donne l’impression d’un monde immense, mais en contrepartie, ces personnages peinent pour la plupart à exister et ils sont rarement plus qu’un nom qu’on croise de temps en temps au fil des pages. Quelques séquences, notamment d’actions liées à la magie, semblent impressionnantes, mais sont à la limite d’être illisibles. Il y a des arcs narratifs entiers qui paraissent gratuits, parce qu’ils ne sont jamais expliqués. Il y a des événements qui semblent déconnectés de tout et qui n’apportent rien… ou alors je n’ai pas compris quoi.

Cela fait beaucoup et je suis persuadé que ce premier roman aurait pu être bien meilleur avec quelques ajustements, des expansions sur quelques personnages clés que l’on aurait aimé mieux connaître et des retraits d’éléments secondaires dont on peine à déceler l’importance. Malgré tout, j’ai lu Les Jardins de la Lune jusqu’au bout et je pense donner sa chance à la saga en attaquant le deuxième tome. Je ne peux pas nier que Steven Erikson a une vision à l’ambition folle et que cela m’a séduit. J’ai aussi beaucoup aimé certains choix narratifs, l’absence claire de héros et de méchants, ou encore quelques idées originales, en particulier sur le fonctionnement précis de la magie. Le Livre des Martyrs imagine un monde que j’ai envie de découvrir, mais j’espère que le style de l’auteur s’améliorera au fil des épisodes. Je suis toujours partant pour un univers complexe, mais la narration n’a pas besoin d’être aussi chargée et alambiquée pour le décrire.

Informations

Saga : Le Livre des Martyrs

  • Auteur :
  • Steven Erikson

Éditeur : Éditions Leha

Année : 2018

Nationalité : Canada

Pages : 640