L’inclinaison, Corentin Durand

L’inclinaison, Corentin Durand

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Pour son premier roman, Corentin Durand n’a pas choisi la facilité. Il aurait pu se contenter d’un récit d’apprentissage assez conventionnel en suivant son narrateur, un jeune homosexuel refoulé qui fuit son quotidien de dealer parisien en quête d’amour de l’autre côté des Pyrénées. L’inclinaison commence dans cette direction et dévie rapidement vers des horizons moins attendus et peut-être moins réjouissants aussi, mais pas moins passionnants. Le romancier fait preuve d’une belle maitrise de la narration et déploie un style soigné ainsi qu’une écriture d’une rare intensité. Ce n’est pas un livre facile et encore moins léger, mais il m’a happé dès ses premières lignes et je ne l’ai pas lâché avant le point final.

C’est peut-être le réalisme que j’ai relevé en premier quand j’ai commencé ma lecture, avec ce premier chapitre qui plonge le lecteur dans un univers crasse à base de bandes de dealers et de partouses de drogués. On s’y croirait, à tel point que je me suis demandé en lisant si l’auteur avait pioché dans ses propres souvenirs. C’est de la fiction néanmoins, ce qui rend L’inclinaison d’autant plus impressionnant. Mieux, cette sensation de réalisme ne nous quitte jamais, ni quand le narrateur, aussi attiré par les hommes qu’homophobe, frappe violemment un homme en sortie de soirée, ni quand il fuit la capitale pour l’Espagne et pour retrouver « Le Bleu », l’un des dealers de banlieue qui a disparu sans crier gare et dont il est tombé amoureux. À défaut d’être calqués sur la réalité, ces décors et ces situations sont crédibles, mais plus important encore, les personnages sont tous bien construits et animés par des psychologies fouillées. Le personnage principal est indéniablement le plus intéressant du lot, sur le thème de l’homosexualité refoulée, transformée en homophobie assumée. Corentin Durand ne s’en contente pas en guise de béquille initiale pour lancer son intrigue, il exploite pleinement cette dualité et la mène jusqu’à sa conclusion logique, dans un final que je ne dévoilerai pas, mais qui m’a un petit peu pris par surprise. Non pas que le roman soit particulièrement joyeux par ailleurs, et ce n’est pas l’ombre du SIDA qui plane au-dessus des paragraphes qui vient l’alléger.

L’épidémie qui a tué tant d’homosexuels ne touche pas le narrateur, elle est présente dans une série de flashbacks rythmés par la musique de New Order. Que ce soit le (faux) écrivain de romances gay qui l’a touché plus jeune ou le membre de sa famille qu’il n’a jamais connu du fait de la maladie, ces évocations du passé sont autant de façon de justifier son homophobie ou en tout cas son blocage face aux pulsions. L’inclinaison ne recherche aucune solution facile alors que les échappatoires seraient assez aisées à imaginer — une romance avec Juan aurait-elle pu sauver le narrateur ? —, mais ce n’est jamais ce que l’auteur vise. Il privilégie les contradictions de son héros à la quête d’un happy-end, tout comme il choisit une langue soutenue et métaphorique, quitte à compliquer la compréhension immédiate. Le récit lui-même n’essaie pas d’être toujours explicite et il ne faut pas compter sur des explications exhaustives et sans aucune zone d’ombre. Autant de choix qui sortent de l’ordinaire et qui me donnent envie de découvrir ce que le romancier proposera par la suite.

Informations

  • Auteur :
  • Corentin Durand

Éditeur : Editions Gallimard

Année : 2022

Nationalité : France

Pages : 293