Hideo Kojima, aux frontières du jeu, Erwan Desbois
Après le cinéma et les séries, après la musique, la collection Playlist Society s’ouvre à un nouveau domaine : les jeux vidéo. Le dernier essai de ce petit éditeur s’intéresse à Hideo Kojima, un créateur de jeux japonais qui s’est fait connaître pour la série Metal Gear Solid et dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Je connaissais ses jeux de nom, mais je n’ai jamais joué à un seul d’entre eux : autant dire que je n’étais pas le candidat idéal pour lire un livre à son sujet. Mais comme toujours avec cette collection, Hideo Kojima, aux frontières du jeu a réussi à me rendre ce sujet intéressant. Erwan Desbois, critique de cinéma, est parvenu à rendre tous ses jeux et sa carrière passionnants. À tel point qu’après avoir terminé ma lecture, j’ai envie de découvrir plus directement le travail de Hideo Kojima.
Il faut dire que le Japonais a eu une carrière intrigante. Il commence dans les années 1980 en posant les bases du jeu d’infiltration avec Metal Gear, dans lequel le but n’est pas de foncer dans le tas sans mourir, mais bien de passer les niveaux sans se faire voir et sans tirer. À l’époque, cette idée originale est une réponse géniale à une contrainte technique : le matériel ne pouvait pas gérer plusieurs ennemis à la fois et Hideo Kojima a pensé à ce concept où il faut les éviter, allégeant au passage la charge de travail de la console. Cette bonne intuition lance l’une des plus grandes sagas du jeu vidéo, jusqu’à Metal Gear Solid 5 sorti au cœur des années 2010, mais aussi un créateur qui a toujours voulu bousculer les joueurs. C’est ce qu’Erwan Desbois retransmet bien en montrant comment chaque nouveau jeu est l’occasion de pousser le bouchon un petit peu plus loin. Le joueur est constamment manipulé, on lui fait croire à un mensonge ou on l’oblige à réaliser des actions pour de mauvaises raisons ou qui n’ont aucune importance. Au fil des années, alors que la technologie s’améliore, les cinématiques deviennent de plus en plus présentes et c’est un autre aspect fondamental de l’essai. Ce n’est pas un hasard si Hideo Kojima, aux frontières du jeu est écrit par un critique de cinéma : son sujet est comme un réalisateur, il met en scène une histoire qu’il a tissée sur près de quatre décennies et sept jeux différents. Toute la série née de Metal Gear est rassemblée par un même univers, des personnages que l’on croise à différents moments : c’est un tout cohérent, même s’il est parfois difficile de se retrouver dans les méandres de l’histoire, surtout quand on n’a pas joué soi-même. Malgré tout, l’essayiste met parfaitement en avant la cohérence de l’ensemble et aussi la volonté du concepteur des jeux de ne jamais rester sur ses acquis et de toujours évoluer, quitte à aller trop loin dans ses expérimentations. Quand la moitié d’un jeu est constitué de cinématiques ou alors quand il pousse trop loin l’expérimentation, avec une expérience trop « meta ».
Viré sans autre forme de procès du studio qui avait accueilli tout son travail depuis le premier Metal Gear, Hideo Kojima a été forcé de se réinventer en sortant Death Stranding. Le résultat est un jeu vidéo comme nul autre, un univers post-apocalyptique ouvert où l’objectif n’est pas de survivre en éliminant des survivants ou autre zombies. Erwan Desbois consacre un chapitre à cette dernière idée du créateur japonais et je dois dire que c’est aussi la partie qui m’a donné le plus envie de découvrir moi-même ses créations. Pourrait-on imaginer un meilleur argument pour Hideo Kojima, aux frontières du jeu ? Même si le jeu vidéo n’est pas votre tasse de thé, c’est une lecture que je recommande sans hésiter.