Tetris, Jon S. Baird

Tetris, Jon S. Baird

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L’histoire du jeu vidéo Tetris est indéniablement fascinante. Inventé en URSS dans les années 1980, il est repéré par un homme d’affaire britannique qui voit tout son potentiel et qui en vend les droits en Europe et aux États-Unis sans que ses concepteurs en aient tout à fait conscience. Le succès est immédiat dans le monde entier, à l’insu de son créateur, Alekseï Pajitnov, et des instances soviétiques qui pensent n’avoir signé qu’une licence limitée aux ordinateurs, alors qu’on retrouve le jeu dans des consoles et des bornes d’arcade. C’est un sujet intéressant pour un film et celui de Jon S. Baird s’intéresse tout particulièrement aux négociations entre Elorn, l’entité soviétique qui possédait les droits sur le jeu, Robert Stein qui a commencé à vendre des licences sans en avoir réellement la propriété, un géant des médias anglais et un américain qui comptait vendre Tetris à Nintendo. Le résultat est un biopic cinématographiquement sans grand intérêt et qui enrobe la réalité historique d’une bonne couche d’action digne d’un film d’espionnage un peu vieillot sur le KGB. Heureusement que Tetris n’est pas trop long et reste assez divertissant, mais l’ensemble reste assez décevant.

Dans un premier temps, Tetris semble réciter la fiche Wikipedia du jeu à vive allure. Le réalisateur voulait apparemment créer un équivalent à l’excellent The Social Network, mais n’est pas David Fincher qui veut. L’action est rapide en effet, sauf que l’on passe d’un élément à l’autre sans explications et un contexte que je trouve bien insuffisant. Taron Egerton compose un Henk Rogers, l’Américain qui a vendu le jeu à Nintendo, plutôt convaincant1, mais son personnage n’a aucun épaisseur psychologique, pas plus que le défilé de personnages secondaires autour de lui. Le rythme finit par ralentir quand le film débarque en URSS et que le reste du film se consacre entièrement aux négociations pour les droits du jeu. Sauf que cette fois, les scénaristes ont pris quelques libertés assez importantes avec la fiche Wikipedia. D’un coup, Tetris devient le symbole de la fin du communisme et une lutte sans merci entre des agents du KGB qui sont forcément malveillants et corrompus et la liberté occidentale. La vision de Moscou à la fin des années 1980 n’évite aucun cliché, de l’architecture triste aux pénuries, et Jon S. Baird imagine même une course-poursuite en Lada digne d’un film d’espionnage. Ce n’est pas ennuyeux et les rappels visuels issus du monde des jeux vidéo sont plaisants, bien que trop rares. Mais pourquoi tordre ainsi la réalité, qui aurait pu offrir un excellent film rien que sur ces négociations. Ou alors s’intéresser davantage au créateur du jeu, réduit ici à un père de famille logiquement inquiet face aux menaces directes lancées contre sa femme et ses enfants.

Une œuvre de fiction ne doit pas nécessairement respecter la réalité historique, bien entendu. Les scénaristes de Tetris peuvent naturellement inventer ce qu’ils ont envie ou embellir la réalité historique. Mais la contrepartie, c’est qu’il faut une nouvelle histoire passionnante et bien racontée. Ce qui n’est pas tout à fait le cas ici. Jon S. Baird reste trop dans le format du biopic conventionnel et oublie de créer des personnages complexes et intéressants. D’où cette sensation de regarder la mise en image d’une fiche Wikipedia, mais une fiche qui ne présenterait même pas la vérité fidèlement.


  1. À condition tout de même d’oublier que le vrai personnage est en partie indonésien et pas du tout blanc comme l’acteur… ↩︎

Informations

Année : 2023

  • Nationalités :
  • Royaume-Uni
  • États-Unis
  • Genres :
  • Thriller
  • Histoire
  • Drame

Durée : 1h58