Plan 75, Chie Hayakawa
Dans un monde où l’on vit de plus en plus vieux, comment gérer une population vieillissante et de moins en moins productive ? Plan 75 imagine un Japon où une solution radicale a été trouvée : inciter les personnes de plus de 75 ans à mourir suite à une euthanasie. Cela reste sur la base du volontariat, mais Chie Hayakawa envisage la solution la plus cynique et en même temps la plus terriblement réaliste pour obtenir le maximum de volontaire : le capitalisme. En incitant les entreprises privées à prendre part au plan 75, le réalisateur japonais produit une dystopie cauchemardesque, précisément parce qu’elle fait preuve d’un rare réalisme. Glaçant et brillant.
Plan 75 est éminement politique et une critique acerbe de nos sociétés capitalistes où la quête d’optimisations a pris le dessus sur tout le reste. Mais le cinéaste n’adopte jamais un ton didactique et il préfère montrer l’air de rien plutôt que de dire. Un parti pris étonnant et que j’ai trouvé bien plus puissant que la voie la plus évidente. En suivant le parcours de quelques personnages, dont une femme de 78 ans qui travaille encore dans un hôtel pour payer le loyer de son appartement où elle vit seule, le long-métrage déploie son message discrètement et avec une efficacité d’autant plus forte. J’ai d’abord été impressionné par la manière qu’a eu Chie Hayakawa de présenter sa vision du Japon comme s’il s’agissait d’un documentaire. Il n’y a aucune date, mais son univers pourrait très bien être le nôtre et le spectateur ne serait même pas choqué par cette entreprise qui fait de la publicité pour inciter des vieux à mourir. Pas plus que les techniques mises en œuvre ne choqueraient particulièrement : ni les 700 € donnés à tous les candidats, ni les formules crémation incluse, ni le soi-disant soutien moral qui est en réalité une manière pour l’entreprise de s’assurer que les candidats ne se dégonflent pas à la dernière seconde. Même l’emploi d’étrangers, dont une philippine que l’on suit aussi pendant le film, pour gérer les possessions des morts dans une séquence qui évoque forcément les camps de concentration, ne semble vraiment choquant à nos yeux contemporains, ce qui en dit long sur notre société.
Au lieu d’offrir un salaire universel décent à tout le monde, le Japon fictif de Chie Hayakawa met en place des stratégies d’une complexité folle pour maintenir la logique capitalistique, entre travail des séniors et euthanasie presque forcée. C’est une vision qui fait froid dans le dos tant elle paraît crédible, mais Plan 75 n’est pas entièrement plombé pour autant. S’il offre une évocation assez terrifiante des fins de vie solitaires, le film se termine sur une note d’espoir que je ne dévoilerai pas, mais qui apporte tout de même un petit peu de lumière dans l’ensemble. Encore une fois, le réalisateur le fait de la manière la plus subtile qui soit, sans appuyer lourdement son message et en se contentant d’images qui en disent bien long qu’un discours.