Oppenheimer, Christopher Nolan

Oppenheimer, Christopher Nolan

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Pour la première fois de sa carrière, Christopher Nolan dresse le portrait d’un personnage historique pour former ce qui s’apparente presque à un biopic, même si on peut lui faire confiance pour ne pas reproduire ce format vu et revu. De fait, Oppenheimer ressemble avant tout à un film de Christopher Nolan, que ce soit pas l’usage toujours aussi déstabilisant1 de l’IMAX ou alors son amour pour les narrations déconstruites. Je suis le premier à louer cette envie de ne pas se contenter d’un bête récit chronologique, même si j’ai trouvé que ce format atteignait ici ses limites. L’ouverture m’a davantage évoqué le travail de Terrence Malick, avec une succession d’images sur de la musique, sans vraiment raconter quoi que ce soit. Autant cela fonctionne dans l’univers de Malick, où les histoires sont pour ainsi dire secondaires, autant cela peut aussi fonctionner dans une fiction parfaitement ficelée comme dans les précédents longs-métrages de Nolan, autant c’est nettement plus douteux quand il s’agit de raconter des faits historiques. Le hasard a fait que j’avais regardé la veille le premier épisode de Turning Point, série Netflix sur la bombe nucléaire, si bien que j’avais assez bien en tête les grands événements et les protagonistes les plus importants. Sans cela, je crois que j’aurais été assez perdu face à Oppenheimer, qui entremêle les époques et multiplie les personnages sans donner tellement de contexte.

Cette heureuse coïncidence m’a aussi permis de mieux réaliser tout ce que Christopher Nolan a oublié ou choisi de ne pas inclure. Malgré les trois heures que dure Oppenheimer, le film oublie de nombreux faits pourtant essentiels pour comprendre le contexte de l’époque. Je ne parle pas des quelques approximations historiques que l’on peut naturellement accepter dans le cadre d’une fiction. Comment toutefois passer sous silence les destructions causées par l’installation du centre de recherche de Fort Alamo et plus encore autour du lieu où Trinity, la première bombe nucléaire, a été testée ? Le scénario glisse en passant qu’il n’y a rien, si ce n’est quelques cimetières indiens et pire, suggère que tous les habitants ont été évacués. Or on sait qu’il y avait une population assez large présente à proximité qui n’a jamais été prévenue, à qui le gouvernement américain a menti et qui a souffert directement ou indirectement des retombées de l’essai. De manière plus générale, le réalisateur essaie bien de montrer qu’il y avait des débats en interne sur la création d’une telle arme, tout en penchant fortement du côté de sa nécessité. Dans un autre domaine, il n’est jamais question de la profonde haine du Japon qui occupe les États-Unis de 1945, une haine provoquée en grande partie par la propagande raciste du gouvernement et qui justifie les acclamations après les horreurs perpétrées à Hiroshima et Nagasaki. Des horreurs qui ne sont jamais montrées, pas même suggérées, d’ailleurs, alors que ce sont pourtant les conséquences principales du projet au cœur du film.

Oppenheimer aurait pu creuser un aspect intéressant : les doutes du personnage principal lui-même, qui va semble convaincu de l’intérêt de la bombe jusqu’à participer à la sélection des cibles, puis qui semble pris d’un remord intense. Au lieu de se concentrer sur ce sujet, le scénario préfère passer un temps fou sur les procédures qui ont suivi la guerre, les doutes quant à la loyauté d’Oppenheimer et un examen de sa vie. C’était long et franchement pas bien passionnant, alors qu’il y a tant d’éléments laissés de côté par ailleurs. J’ai du mal à comprendre ce choix de la part de Christopher Nolan, d’autant qu’il donne l’impression par endroits de réciter une fiche Wikipédia en étalant une succession d’informations. Le passage au noir et blanc, censé représenter la vision objective en opposition à la couleur qui présente la subjectivité du sujet, n’aide pas à cet égard. Si l’ambition initiale était peut-être intéressante, c’est comme si elle avait été oubliée en cours de route et que le spectateur assistait à un cours d’histoire paresseux et partial.

Même sur le plan technique, j’ai trouvé l’ensemble décevant. Je ne sais pas si c’est Christopher Nolan qui tourne en rond ou si je me suis lassé, mais j’ai trouvé la reconstitution propre sans plus et tout le discours sur la réalisation sans effets spéciaux encore plus absurde que d’habitude. L’explosion de Trinity était assez banale, la musique peu inspirée et le jeu de Cillian Murphy m’a trop rappelé Peaky Blinders pour convaincre. Et que dire des personnages féminins, quasiment absents et soit objectivées — la pauvre Florence Pugh est quasiment systématiquement dénudée sans véritable raison —, soit caricaturées en femme hystérique, alcoolique et manipulatrice (Emily Blunt est par ailleurs très bien dans ce rôle d’un autre temps). Entre cette vision réductrice, l’absence de toute considération pour les victimes de la bombe et la valorisation assez simpliste des États-Unis, Oppenheimer a des relents un petit peu rances et j’ai l’impression assez nette d’avoir perdu trois heures.


  1. Le film alterne constamment entre deux formats, y compris au sein d’une même scène. Cela fait plusieurs films du réalisateur qui sont ainsi et c’est peut-être celui qui m’a le plus gêné. Comment justifier que des personnages soient d’abord filmés de dos en IMAX, puis la seconde suivante de face avec un cadre restreint ? C’est non seulement inutile, j’ai même trouvé ça perturbant et pénible. ↩︎

Informations

Année : 2023

  • Nationalités :
  • Royaume-Uni
  • États-Unis
  • Genres :
  • Drame
  • Histoire

Durée : 3h01