Nope, Jordan Peele
Ce que je préfère chez Jordan Peele, c’est que l’on ne sait jamais où il veut aller. Nope est son troisième long-métrage et comme les deux précédents, Get Out et Us, il nous emmène dans une direction totalement inattendue. L’horreur n’est pas loin, comme toujours chez le cinéaste, mais il s’essaie à un autre genre en introduisant une bonne dose de science-fiction. Néanmoins, n’attendez pas un space opera, on est à nouveau dans une œuvre étrange, ce qui est le plus beau compliment que je puisse lui faire : Nope est foncièrement original et suit sa propre voie. Le résumer ne serait pas lui rendre justice, car l’histoire est au fond assez banale en apparence. Tout l’intérêt vient de l’exécution et l’ambiance qui s’installe petit à petit, avec un mélange audacieux d’horreur dans un cadre de western, d’une grosse pincée de science-fiction, d’une bonne dose d’humour qui allège l’ensemble et bien entendu, d’une dénonciation en règle du racisme systématique.
Et encore une fois, c’est une réussite totale. Nope mélange toutes ses références avec une aisance qui force le respect. Le film débute sous des airs de westerns, dans un ranch perdu au milieu de nulle part où Otis « O.J. » dresse des chevaux avec son père. Brutalement, l’ambiance change quand des sifflements se font entendre et quand le père s’effondre de son cheval : du métal tombe du ciel et une pièce lui traverse le crâne, il meurt peu près. La scène suivante se déroule quelques mois plus tard, sur le plateau d’un tournage à Hollywood où O.J. amène un cheval et subit le racisme général en pleine face. Une séquence ou deux de plus, et on commence à apercevoir des formes étranges dans les nuages : s’agirait-il d’une soucoupe volante ? Jordan Peele, qui ne se contente pas de réaliser puisqu’il est aussi l’auteur du scénario comme d’habitude, a une vision d’ensemble, mais il se garde bien de la révéler trop vite. Ainsi, on a ces drôles allusions à une sitcom qui s’est terminée dans un bain de sang lorsqu’un chimpanzé utilisé sur le tournage a perdu la tête et tué la moitié du casting. Quel rapport ? Y a-t-il même une connexion avec le reste ? Je ne vais rien révéler, mais comme toujours avec le cinéaste, il faut accepter de se laisser porter et de ne pas tout comprendre. Jusqu’à la fin, les explications se font rares et il ne faut pas espérer tout comprendre, sans pour autant être face à un puzzle incompréhensible. L’équilibre est parfait je trouve, Nope n’est pas volontairement obscur, mais c’est surtout que les informations sont dévoilées progressivement et qu’il est difficile de comprendre à l’avance où le scénario veut en venir.
Jordan Peele bénéficie de davantage de budget à chaque nouveau projet et cela se voit. Sur ce film, il a pu tourner toutes les séquences d’action en IMAX et les images sont magnifiques, avec en particulier de nombreux plans de nuit qui sont parfaitement rendus. Il n’y a pas énormément d’effets spéciaux numériques, tout est assez simple, mais fait avec un grand sens des détails, ce qui est essentiel. Ajoutez à cela un casting impeccable Daniel Kaluuya — déjà croisé dans Get Out — impeccable pour le rôle principal en tête, et vous obtenez un long-métrage réussi de bout en bout. Ne passez pas à côté et j’ai hâte maintenant de découvrir ce que Jordan Peele nous concoctera ensuite. On parle d’une suite pour Nope, mais je ne crois pas que ce serait une bonne idée, le réalisateur américain ferait sans doute mieux d’explorer encore de nouvelles pistes et de nouveaux genres. Mais allez savoir, s’il y a quelqu’un qui peut nous surprendre avec un tel projet, ce serait bien lui…