Nomadland, Chloé Zhao
Un film peut être ouvertement politique et dénoncer frontalement un système économique ou défendre une classe sociale. Nomadland est loin d’être aussi explicite, mais le long-métrage écrit, réalisé et monté par Chloe Zhao n’en est pas moins politique. Son adaptation d’un essai de Jessica Bruder est un témoin sans concession de la cruauté socio-économique des États-Unis, un pays où l’on peut tout perdre du jour au lendemain, un pays surtout qui abandonne ses séniors sans aucun soutien, forçant les plus démunis à mener une vie d’errance, de petit boulot en petit boulot.
Fern fait partie de ces Américains qui ont tout perdu et qui ont choisi d’acheter un van et de se déplacer dans le pays, d’un emploi à l’autre. On la découvre dans un immense entrepôt Amazon, où elle travaille pendant quelques semaines au cœur de l’hiver, sans doute pour assurer la charge de travail pendant les fêtes. Puis dans le camping d’un parc national, derrière le buffet d’un restaurant, ou encore sur une exploitation de betteraves. Elle enchaîne ces boulots saisonniers et gagne juste assez pour survivre et payer l’essence pour sa camionnette, mais certainement pas pour la réparer. Lors d’une panne, elle n’a pas d’autre choix que de se tourner vers sa sœur, qui finit par accepter de lui prêter les 2 000 $ nécessaires, non sans remettre en cause ce mode de vie.
Chloé Zhao a utilisé des acteurs non-professionnels pour une partie du casting, ce qui apporte un réalisme incontestable au projet. Cette communauté d’Américains souvent vieux et peu fortunés sur la route est intéressante par ses contrastes. D’un côté, ils mettent tous en avant le choix de ce mode de vie et leur refus de revenir en arrière et de vivre à nouveau sous un toit en dur. D’un autre, on voit bien la difficulté de leur quotidien et le personnage de Dave n’hésite pas tellement quand il a l’opportunité de retrouver une maison avec sa famille. Ce n’est pas la norme pour autant, comme en témoigne le parcours de l’héroïne de Nomadland, mais la cinéaste n’a pas du tout cherché à embellir la situation. Son style est particulier, en ce sens qu’il n’est jamais directement jugeur, mais cela n’empêche pas la cinéaste de laisser son message transparaître par sa mise en scène. J’imagine qu’Amazon n’aurait jamais accepté d’ouvrir ses portes si le scénario avait été plus critique et même s’il n’avait pas été en apparence positif. Mais derrière l’apparence, il y a les images montrées par Chloé Zhao et des messages plus subtils, notamment sur la complicité du géant du commerce dans la précarité de ces séniors1.
Comment ne pas s’enthousiasmer face à ce long-métrage ? On comprend vite les critiques dithyrambiques et la moisson de prix pour Nomadland, sa créatrice et ses interprètes, avec une mention spéciale pour Frances McDormand, excellente comme toujours. L’actrice a besoin de peu de moyens pour composer son personnage et toute sa complexité et le succès du projet lui doit indéniablement beaucoup. Sans oublier la bande-originale de Ludivic Einaudi, toute en légèreté et pourtant si intense.
Ce n’est jamais dit dans le film, mais on comprend qu’Amazon finance les emplacements de camping pour permettre à ces travailleurs en camionnettes aménagées de venir travailler. Au lieu de leur offrir un logement décent, l’entreprise préfère leur payer une place de camping au cœur de l’hiver, sans trop se soucier de leurs conditions de vie. ↩︎