Naissance des pieuvres, Céline Sciamma
Pour son premier long-métrage, Céline Sciamma s’attaque directement au cœur de la masculinité toxique, en posant ses caméras au cœur d’une relation amoureuse entre deux adolescentes. Cela qui n’a rien de paradoxal, comme le démontre brillamment Naissance des pieuvres, en déconstruisant méthodiquement ce que l’on impose à ces jeunes filles qui font de la natation synchronisée et dont le corps est contraint au nom d’un idéal féminin façonné par les hommes. L’apparence avant tout, jusqu’aux poils qu’il faut méthodiquement éliminer, les sourires forcés qu’il faut toujours arborer et, comble de l’horreur, les avances des encadrants adultes qu’il faut tolérer, voire satisfaire. Cela va au-delà de ce sport, dont la virtuosité est par ailleurs fort justement célébrée par la réalisatrice, c’est tout le quotidien de ces jeunes filles qui est conditionné par les hommes. En témoigne toute l’intrigue autour de la virginité et la quête de Floriane pour la perdre par tous les moyens avant de coucher avec son petit ami, quitte à se mettre en danger en couchant avec un adulte sur un parking.
Au milieu de toute cette masculinité, Céline Sciamma dessine une relation amoureuse entre Floriane et Marie, une relation complète et pleine de subtilité notamment parce que la première refuse de céder à ses sentiments et semble mener la deuxième en bateau. C’est un des points que je trouve les plus réussis dans Naissance des pieuvres, le film n’adopte jamais un point de vue simple et tranché et le scénario privilégie la psychologie des personnages à une histoire facile. C’est vrai pour le duo principal, c’est aussi le cas pour Anne qui est complexée par son corps trop adulte et en même temps encore impulsive comme un enfant. Il convient d’ailleurs de saluer les trois interprètes principales : si tout le monde a retenu Adèle Haenel dont la carrière a explosé par la suite (jusqu’à disparaître des radars pour des raisons justement dénoncées dans ce film…), Pauline Acquart et Louise Blachère sont toutes deux parfaitement justes et elles impressionnent par la maturité de leur jeu malgré leur jeune âge. Ajoutez à cela l’excellente musique originale composée par Para One et vous obtenez une vraie réussite qui reste, hélas, toujours autant d’actualité dix-sept ans après sa sortie.