La Leçon de piano, Jane Campion

La Leçon de piano, Jane Campion

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La Leçon de piano est entré dans l‘histoire pour une raison assez triste au fond : Jane Campion est la première réalisatrice à avoir obtenu la Palme d’or à Cannes. Alors que cette récompense existe depuis le milieu des années 1950, il a fallu attendre 1993 pour qu’une femme soit enfin récompensée. Tant qu’à parler de choses tristes, le Festival de Cannes est une institution si sexiste qu’une seule autre femme a obtenu la récompense dans toute l’histoire de la compétition et c’était l’an dernier, en 2021, pour Titane de Julia Durcournau.

Mais revenons au positif si vous le voulez bien. La Leçon de piano mérite entièrement sa récompense, tant le film parvient à s’imposer durablement dans les esprits des spectateurs. L’histoire de cette écossaise muette mariée de force au XIXe siècle par son père à un homme en Nouvelle-Zélande, et non pas dans une ville ou même un bourg, mais bien dans un coin reculé de l’île. Elle part avec sa fille conçue hors mariage et son bien le plus précieux, un piano, pour l’autre bout du monde et pour un territoire sauvage et hostile. Jane Campion ne filme rien ou quasiment rien avant l’arrivée de son héroïne sur la plage de Nouvelle-Zélande. On imagine le voyage éprouvant, mais l’économie des moyens nécessaires pour l’exprimer frappe déjà. Il suffit de quelques signes de la part d’Ada — Holly Hunter, qui parvient à toucher avec une force assez folle quand on pense qu’elle ne dit jamais un mot face à la caméra — et la traduction énervée de sa fille Flora — Anna Paquin, dont c’est le premier rôle, est bluffante, une révélation — pour tout comprendre. Ce procédé est central dans le long-métrage, où les mots sont systématiquement moins importants que les regards, où l’ambiance en dit plus que les dialogues.

Il faut dire que Jane Campion, qui a aussi écrit le scénario, ne s’est pas simplifié la tâche, en ne faisant jamais parler son personnage principal. La Leçon de piano n’est jamais vide toutefois et ses deux heures passent sans difficulté, car les regards des acteurs, la mise en scène et la photographie ou encore la magnifique bande-originale composée par Michael Nyman, suffisent à transmettre tout ce que l’on doit savoir. Le film est une dénonciation redoutable du machisme de la société d’alors, qui trouve hélas toujours un écho aussi fort aujourd’hui. Le mari, interprété par Sam Neill, considère sa femme comme une propriété qui a avant tout des devoirs envers lui. Même Baines, le colon voisin qui a appris la langue et les coutumes des maoris et qui est incarné par un Harvey Keitel intense, ne traite pas beaucoup mieux Ada. C’est une ode au féminisme, mais assez sombre et qui frôle même la tragédie1, que nous propose la réalisatrice.

Près de trente ans après sa sortie initiale, La Leçon de piano n’a pas pris une ride. Le Long-métrage reste toujours aussi intense et mémorable et il est malheureusement toujours autant d’actualité. Une triste performance qui force le respect, d’autant qu’il s’agit d’un film d’époque en costumes.


  1. Il paraît que Jane Campion voulait tuer son personnage. Le happy-end finalement tourné apporte une lumière d’espoir dans un film par ailleurs assez sombre. ↩︎

Informations

Titre original : The Piano

Année : 1993

  • Nationalités :
  • Nouvelle-Zélande
  • Australie
  • France
  • Genres :
  • Drame
  • Romance

Durée : 2h00