Flee, Jonas Poher Rasmussen

Flee, Jonas Poher Rasmussen

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Flee est un documentaire qui retrace la vie d’Amin, jeune afghan qui a fuit son pays après la victoire des Moudjahidines, mais c’est aussi un documentaire en animation. Un choix étonnant qui pourrait le rapprocher du domaine de la fiction, même si Jonas Poher Rasmussen signe par ailleurs un documentaire conventionnel, avec notamment de longs entretiens menés « face caméra » avec son sujet. Flee n’explique jamais son propre dispositif, même si on peut avoir une idée assez juste : c’est bel et bien un choix d’Amin, qui souhaitait mettre un petit peu de distance et raconter son histoire sans se dévoiler physiquement. Il faut dire que l’une des phrases qu’il prononce au début du documentaire fait froid dans le dos : « En Afghanistan, l’homosexualité n’existe pas. Il n’y a pas de mot pour ça. ». Car oui, Amin est gay et son histoire est aussi celle d’une lutte autour de sa sexualité en ayant grandi au sein d’une société qui est si homophobe que la possibilité d’être attiré par le même sexe que soi n’est même pas envisagée. Pour éviter des ennuis à sa famille restée ou retournée dans le pays, il a préféré ne pas montrer son visage et seule sa voie est ainsi réelle.

L’animation créée par Jonas Poher Rasmussen n’est pas fluide du tout et il faut quelques minutes pour s’y faire. L’objectif n’est pas de reconstruire fidèlement l’Afghanistan de la fin des années 1990 ou le Danemark contemporain qui sert de cadre aux interviews d’Amin. Au contraire, le style est volontairement schématisé, notamment pour reconstituer des souvenirs flous de ce garçon qui a passé toute son enfance à fuir. Après la prise de pouvoir des extrémistes religieux aidés par les États-Unis — ce qui n’est pas le sujet ici, mais à chaque fois que j’ai l’occasion d’en tendre parler, je me rappelle à quel point ils ont pu être stupides avec leur vision court-termiste —, la Russie accueille les migrants afghans, mais la situation n’est guère meilleure pour Amin et sa famille. La fin de l’URSS laisse place à une loi de la jungle gérée par une police corrompue qui mène la vie dure aux immigrés. C’est pourquoi la famille décide de repartir, mais cette fois illégalement, pour rejoindre un grand frère installé en Suède depuis des années. Commence un long et terrifiant processus, où la famille fait des tentatives de passage en payant des sales types en guise de passeurs. Le récit est cauchemardesque par endroit, notamment lorsque les images d’archive surviennent au milieu de l’animation, rappelant brutalement que ce qui est raconté est entièrement vrai.

Le choix de l’animation crée un effet de distance qui est inévitable, mais qui ne m’a pas gêné au bout du compte. Paradoxalement, j’ai même trouvé que Flee en sortait encore renforcé sur le plan du réalisme, peut-être parce que le passé dans le Kaboul de la fin des années 1990 est représenté de la même manière que le présent. Comme dans Valse avec Bachir qui était sans doute le premier du genre, le film de Jonas Poher Rasmussen trouve sa propre voie et voix en proposant ainsi un mélange des genres. Le résultat est une magnifique réussite, pas toujours drôle on s’en doute et même déchirante par moments, mais sans être entièrement dénuée d’espoir. Coup de cœur.

Informations

Titre original : Flugt

Année : 2021

  • Nationalités :
  • Danemark
  • Estonie
  • Finlande
  • France
  • Italie
  • Norvège
  • Slovénie
  • Espagne
  • Suède
  • Royaume-Uni
  • États-Unis
  • Genres :
  • Documentaire
  • Animation

Durée : 1h23