Everything Everywhere All at Once, Daniel Scheinert et Daniel Kwan
Comme tout le monde, j’avais inévitablement entendu parler du phénomène. Everything Everywhere All at Once est sorti au printemps dernier et le long-métrage réalisé par « les Daniels » a immédiatement fait parler de lui, rameutant toujours plus de monde dans les salles obscures. Je ne voulais rien savoir de plus à son sujet, mais le fait que l’excellent groupe Son Lux signait la bande-originale m’avait d’autant plus intrigué. Profitant de son passage dans nos salons, j’ai pu enfin confirmer que sa bonne réputation n’était pas usurpée. Cet étrange objet cinématographique qui multiplie les genres et les clins d’œil et qui fonce à toute allure pendant plus de deux heures est un délice qu’il faut savourer en ignorant le maximum à son sujet.
Everything Everywhere All at Once masque son véritable sujet derrière plusieurs thèmes qui sont quasiment des distractions. Certes, c’est une œuvre de science-fiction qui reprend à son compte la théorie du multivers, avec des idées piochées ici ou là et une bonne dose de philosophie qui lui offre quelques points communs avec Matrix. C’est un sujet en effet, c’est loin d’être le seul et pas même le plus important. Je n’avais aucune idée de ce qui allait arriver dans ce film et j’étais loin d’imaginer que le thème principal était en réalité psychologique, avec une histoire qui se construit autour de la dépression symbolisée par un gros bagel noir. C’est un thème qui est toujours présent, mais qui ne devient vraiment apparent qu’au fil du temps, autant pour les personnages que pour les spectateurs. Une très belle idée, tant c’est une expérience vécue par bon nombre de malades et il faut d’ailleurs noter que la description de la maladie est d’une fidélité rare et particulièrement touchante. Même si c’est, à mon sens, le cœur du projet, ce n’est pas pour autant le seul sujet. Le film réalisé par Daniel Scheinert et Daniel Kwan est d’une belle complexité scénaristique et il serait bien difficile de compter et encore plus de lister toutes ses idées et tous ses clins d’œil. Cela fourmille sur toute la durée, y compris sur le plan visuel, avec une réalisation hyper rythmée qui pourrait avoir tendance à fatiguer. Everything Everywhere All at Once parvient toutefois à éviter le trop-plein et l’ensemble reste agréable, sans doute grâce à une bonne dose de second degré. L’humour absurde est toujours et fonctionne à plein, avec des personnages secondaires ridicules qui allègent la tension et permettent de tenir la distance sans difficulté. Mention spéciale à cet univers où l’on a des saucisses à la place des doigts sur la main, un délire hilarant et assumé jusqu’au bout.
Un tel projet ne tiendrait pas sans un solide casting et c’est un carton plein de ce côté. Michelle Yeoh est parfaite dans le rôle principal, elle interprète avec une facilité déconcertante la mère chargée de sauver le multivers tout entier et qui passe constamment d’un personnage à l’autre. Stephanie Hsu est excellente elle aussi dans le rôle de sa fille dépressive et Ke Huy Quan est impeccable dans celui du père. Mais je crois que je retiendrai surtout Jamie Lee Curtis, épatante de drôlerie dans son interprétation d’une impitoyable agente des impôts, qui peut aussi être une surprenante joueuse de piano au pied dans le monde des saucisses. Quant à la musique originale composée par Son Lux, je l’ai surtout remarquée lors du point d’orgue vers la fin. Il faut dire que Everything Everywhere All at Once a de quoi occuper lors de la première vision, surtout si on veut essayer de ne pas s’y perdre au milieu de tout ce foisonnement d’idées. Je suis sûr que l’album associé sera aussi bon que tous les autres du groupe et maintenant que j’ai vu le film, j’ai hâte de l’écouter.