Le Dernier Duel, Ridley Scott
Une fresque de plus de deux heures trente à l’ère médiévale réalisée par Ridley Scott ? Non, ce n’est pas Kingdom of Heaven ni Robin des Bois, mais bel et bien un tout nouveau long-métrage… même si pour être honnête, j’avais un intense sentiment de déjà-vu à l’annonce du projet. Le Dernier Duel est une reconstitution historique comme le cinéaste en a tant réalisé, pas réaliste pour un sou, mais parfaitement mise en œuvre et avec un sens du majestueux qui force le respect. Il faut reconnaître au réalisateur ce sens pour plonger les spectateurs dans des batailles sanglantes du passé, mais justement : on l’a déjà vu faire, on sait de quoi il est capable et cela fait bien longtemps qu’il ne force plus son talent et se contente de reproduire de vieux schémas. Plusieurs séquences pourraient être des calques quasiment parfaits de scènes sorties de ses anciens longs-métrages et le manque d’originalité est de plus en plus difficile à masquer.
Le Dernier Duel se déroule en France au cœur de la Guerre de Cent ans, mais les grands faits historiques ne sont qu’une toile d’arrière-plan pour le cœur du récit, l’opposition entre deux écuyers1 qui se termine en un duel judiciaire, l’un des derniers du genre. Ridley Scott ne manque pas de rappeler que l’ensemble est inspiré d’une histoire vraie, ce qui n’empêche pas le panel de stars américaines ou britanniques rassemblé ici de parler dans un anglais parfait. De toute manière, la reconstitution ne cherche pas à être réaliste, ou alors c’est raté. Le projet restitue assez bien un Moyen-Âge fantasmé toutefois, en essayant d’appliquer une lecture plus moderne à ces mœurs d’un autre temps. En l’occurrence, le procès entre les deux hommes concerne le viol de la femme2 de l’un par l’autre. Inspiré d’une œuvre de non-fiction, la version fictive imagine un dispositif assez convenu, où le même récit est raconté trois fois, selon trois points de vue. Les deux hommes commencent, puis la femme termine et sans surprise pour quiconque s’intéresse vaguement au XIVe siècle présenté ici, c’est elle qui est constamment dévalorisée et surtout la plus en danger. L’intention est honorable et le fait que Le Dernier Duel ait énervé tant d’hommes bloqués dans le passé est un succès en soi, mais enfin, n’espérez pas voir une grande œuvre féministe pour autant.
Même s’il est censé dénoncer les agissements d’hommes rustres qui considèrent la femme uniquement comme le meuble encombrant qui accompagne une dot et comme un outil reproductif, le long-métrage ne parvient pas à sortir tout à fait de cette image. Le Dernier Duel est bien trop long et Ridley Scott aurait mieux fait de se débarrasser du dispositif en trois parties — dont The Affair a sans doute offert la meilleure incarnation — pour se concentrer sur le point de vue féminin. Peut-être qu’il aurait pu également se passer de cette vision aussi violente et sanglante, car même si elle correspond probablement à la triste réalité historique, j’ai surtout eu l’impression qu’elle répondait à l’envie du cinéaste avant tout. De même, fallait-il vraiment céder au male gaze si grossier dans plusieurs scènes ? C’est peut-être le récit des hommes, mais à la fin, c’est aussi ce que le spectateur voit et retient du film.
Sans aller jusqu’à dire que j’ai trouvé Le Dernier Duel mauvais, je comprends sans difficulté l’échec en salle. Accuser les spectateurs est une réponse bien trop facile et assez honteuse de la part de son concepteur. La réalité est que Ridley Scott n’a pas fait de grand film depuis des années et qu’il se contente de reproduire des formules de plus en plus dépassées et de moins en moins intéressantes.
Incarnés par un Adam Driver aussi reconnaissable que Matt Damon est méconnaissable. Avec sa coiffure et son bouc, je ne l’avais pas reconnu du tout dans la séquence d’ouverture… et il m’a fallu aussi un moment pour identifier Ben Affleck, au passage. ↩︎
Jodie Comer complète le trio d’acteurs principaux et elle n’est pas mauvaise, mais je suspecte que son talent aurait pu être mieux dirigé. ↩︎