Les algues vertes, Pierre Jolivet

Les algues vertes, Pierre Jolivet

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Les algues vertes retrace le parcours d’Inès Léraud, journaliste qui a dénoncé le scandale de l’agriculture productiviste bretonne et surtout ses méfaits sur l’environnement, ainsi que l’omerta imposée jusqu’au sommet de l’État à ce sujet. Pierre Jolivet signe une œuvre de fiction, co-écrite avec la journaliste et basée sur la bande dessinée ‌Algues vertes, l’histoire interdite qui avait été déjà co-écrite avec Inès Léraud. Autant dire qu’il s’agit d’une reconstitution qui se veut aussi fidèle que possible de son travail d’enquête, à la fois sur les algues vertes et leur toxicité qui a conduit à la mort de plusieurs personnes, et à la fois sur la manière dont les autorités à tous les niveaux ont tout fait pour limiter l’exposition du sujet. Le tabou de l’agriculture intensive, en particulier l’élevage porcin, est parfaitement mis en valeur dans ce long-métrage tourné comme un thriller d’enquête. Le résultat, passionnant et bien interprété, mérite le détour, surtout si vous n’aviez jamais entendu parler de ce scandale écologique si absurde.

Je connaissais le sujet, sans avoir conscience de l’action délétère des autorités, ce que le film met bien en avant. Pendant l’enquête de la journaliste, un jogger meurt dans une zone contaminée par la pollution et c’est une opportunité parfaite pour mettre en valeur toutes les mécaniques du silence qui s’activent. Dès le départ, face au cadavre de son mari, le maire de la commune commence par dissuader la veuve de demander une autopsie. On accuse le sportif de maladresse et toutes les excuses sont bonnes pour enterrer le corps et l’affaire au plus vite, pour éviter un procès qui pourrait établir un lien entre le décès et les nombreuses porcheries des alentours. Un lien qui est pourtant évident, tant ces algues vertes qui prolifèrent suite aux épandages et autres rejets sauvages de lisier produisent un gaz toxique. Les algues vertes démontre comment ce schéma s’est répété à plusieurs reprises dans l’histoire, jusqu’à la fin des années 1980. À chaque fois, on trouve une autre excuse au lieu pour ne pas mettre en cause l’activité agricole et le sujet est devenu tabou. Quand Inès Léraud et sa compagne s’installent dans un petit village du centre de la Bretagne, elles sont accueillies par des menaces dès que les habitants apprennent leur intérêt pour ces fameuses algues. Alors que l’enquête avance, c’est Radio France qui stoppe brutalement l’émission sous de faux prétextes. Un vice-président de région jusque-là coopératif devient un soutien à regret, mais soutien tout de même, du modèle agricole breton quand il se retrouve député à Bruxelles. Personne ne parle, si ce n’est pour défendre l’économie et évoquer une histoire si absurde de guerre contre le reste du monde que ce serait drôle, si ce n’était pas si tragique.

À la fin du film, c’est pour moi ce qui ressort le plus intensément de l’histoire. Tous ces responsables politiques sont soit directement impliqués, soit acceptent sans critique les arguments de la FNSEA. Ils peuvent avoir un intérêt dans la préservation de l’image touristique de la région, quitte à choisir de fermer les yeux sur les morts des locaux pour ne pas effrayer les touristes. Certains ont même des intérêts plus directs, en appartenant à une coopérative locale. Tous connaissent des employés de l’industrie agro-alimentaire, qui domine le marché du travail dans bon nombre de communes. Ils ont tous intérêt à préserver le statu-quo, quitte à détruire leur propre région et menacer la santé de leurs propres enfants, ce qui est quand même assez incroyable. Le pire, c’est toutefois la FNSEA qui défend l’idée d’une guerre économique mondiale, où le porc breton produit en masse doit concurrencer celui qui vient de Chine ou d’ailleurs. Qu’un député défende cet argument au détriment de tout le reste, comme si vendre du porc breton en Asie était la seule action que l’on pouvait entreprendre aujourd’hui, est à la fois risible et si triste. À l’heure du dérèglement climatique, ruiner non seulement l’environnement, mais aussi la santé de ses propres habitants, tout ça pour tenter de concurrencer la Chine en vendant la viande la moins chère qui soit… l’absurdité de la situation est tellement incroyable que j’aurais trouvé l’idée un petit peu trop grosse dans une pure fiction. Et même si, Les algues vertes a contribué à mettre le sujet en lumières, la situation n’a toujours bougé d’un pouce dans le bon sens, ce qui est encore plus absurde et déprimant.

Informations

Année : 2023

  • Nationalité :
  • France
  • Genre :
  • Drame

Durée : 1h47