Abercrombie & Fitch : Une marque sur le fil, Alison Klayman
Je ne suis entré dans un Abercrombie & Fitch qu’une seule fois dans ma vie, pour en ressortir moins de cinq minutes plus tard face au monde, à l’obscurité, à la musique assourdissante et au parfum écœurant qui régnait à l’intérieur. C’est ma seule expérience avec cette marque et en regardant le documentaire d’Alison Klayman diffusé sur Netflix, je comprends mieux pourquoi cela n’a pas collé. En cherchant à vendre le « cool » et la beauté sur la base d’une définition qui sentait bon le racisme WASP des années 1950, la marque a construit son succès de l’exclusion volontaire de tous ceux qui ne collaient pas à ce modèle si limité. Abercrombie & Fitch : Une marque sur le fil démonte implacablement ces magasins qui ont fait fureur dans les années 1990 et 2000, avant de quasiment disparaître dans la décennie suivante et c’est terrifiant.
Terrifiant de penser que des hommes pourtant gays ont pu mettre en au point une marque aussi exclusive par pur cynisme marketing ou par convictions rétrogrades1. Terrifiant de réaliser à quel point cette stratégie a si bien marché, avec des boutiques Abercrombie & Fitch qui se sont multipliées, non seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe et en Asie. Terrifiant de constater que l’entreprise s’en est sortie sans problème majeur, y compris pour Mike Jeffries, le principal créateur de cette marque construite sur la discrimination qui a pu partir avec quelques dizaines de millions de dollars. Terrifiant aussi de voir défiler ces anciens employés qui reconnaissent au mieux quelques erreurs, mais ne semblent toujours pas avoir réalisé l’ampleur du problème et encore moins leur responsabilité directe.
En plus de la discrimination à l’embauche et en plus des mecs exclusivement blancs et musclés exhibés partout, Alison Klayman évoque aussi le racisme minable des t-shirts « comiques » vendus par l’entreprise à une époque. À cet égard, Abercrombie & Fitch est vraiment le symbole d’un mal systémique qui ne touche d’ailleurs pas que les États-Unis. L’entre-soi et l’exclusion dans ce qu’ils ont de pire, érigés comme recette du succès pendant deux décennies… et ça a marché en plus ! Voilà qui laisse songeur.
Les hommes torses nus qui étaient le porte-étendard de la marque devaient être bien masculins et les femmes bien féminines. Le documentaire relaie par ailleurs les commentaires lesbophobes du PDG, homosexuel même s’il n’a jamais fait son coming-out. ↩︎