Shook, Algiers
À chaque album, Algiers semble chercher à repousser les limites encore un petit peu plus loin. J’aurais eu du mal à croire qu’ils pousseraient encore leur musique née sous le signe du chaos, où les genres se bousculent pour former une bande-originale sombre et pas évidente à aborder. Shook prouve que le groupe d’Atlanta en avait encore en réserve, avec une ouverture plus large encore des genres et cette fois quelques incursions remarquées dans l’univers du hip-hop, sans perdre de vue le punk industriel qui a fait leur renommée. Il m’a fallu quelques écoutes pour entrer dans ce quatrième album, une constante chez Algiers, mais cet effort est tout à fait mérité. Pas moins de dix-sept nouveaux titres qui forment un ensemble de près d’une heure intense et dense. Un album qui se révèle un petit peu mieux à chaque écoute.
Shook est peut-être l’album le plus abouti du groupe jusque-là, ce qui veut aussi sans doute dire qu’il est le moins accessible de tous. Algiers ne cherche jamais la mélodie facile et encore moins la structure basique : ses morceaux partent au contraire dans tous les sens, peuvent varier de rythme et d’ambiance même toutes les quelques dizaines de seconde et déroutent constamment. Prenez « Irreversible Damages », par exemple, il ne cesse d’évoluer, entre punk, musique industrielle, électronique, une bonne dose de rap avec la voix de Zach de la Rocha et un passage sur la fin qui irait même chercher du côté de la musique folklorique. Ou alors « Bite Back » qui sonne presque comme deux morceaux entièrement différents collés, sans perdre sa cohérence d’ensemble. Tous les titres sont ainsi inclassables et en permanente oscillation entre les genres et les ambiances, à l’image de « Cold World » qui surprend en faisant de la place à l’artiste égyptienne Nadah El Shazly ou alors de « Something Wrong » qui est peut-être le plus fou de tout l’album en partant dans tous les sens dans un joyeux bazar. Si la majorité des morceaux opte pour un traitement sombre et une musique assez énervée, on a le temps de faire quelques pauses dans ce long parcours. Quelques textes lus et un ou deux titres plus calmes sont autant d’opportunité de faire des pauses, avant que la colère d’Algiers ne reprenne le dessus.
N’allez pas croire pour autant que Shook soit une œuvre mélodique et simple d’accès, la noirceur et le chaos restent ses fondations, tant sur le fond que sur la forme. Cela a toujours été la recette d’Algiers, mais le groupe s’enfonce encore davantage dans cette noirceur. Ses trois premiers albums n’étaient pas beaucoup plus joyeux pour autant et ils m’avaient tous beaucoup plu, celui-ci ne fait pas exception. Il nécessite à nouveau une implication importante pour « entrer dedans » les premières écoutes, mais cette complexité est une richesse qui se dévoile par la suite avec bonheur à chaque retour dans la liste de lecture. J’aime toujours autant la voix particulière de Franklin James Fisher et j’ai hâte de découvrir ce que le groupe proposera à l’avenir.