“NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024 28,340 DEAD”, Godspeed You! Black Emperor
Même si le « post-rock » est un genre sans doute trop fourre-tout où l’on a rassemblé des groupes variés, je pense souvent d’abord à Godspeed You! Black Emperor quand on l’évoque. Le groupe canadien né il y a pile trente ans a toujours représenté pour moi la forme idéale de cette musique surtout instrumentale, qui prend son temps et qui s’impose par des montées en puissance toujours aussi efficaces. Son dernier album, étrangement nommé “NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024 28,340 DEAD”, est composé de six morceaux, ce qui est plutôt élevé. Six nouveaux titres pas tous longs — moins de quatre minutes pour le plus court, c’est limite de la pop — et surtout assez simples d’accès. Naturellement, si vous découvrez pour la toute première fois Godspeed You! Black Emperor, vous serez inévitablement surpris par ce son si particulier, ces guitares saturées qui forment pourtant une scène sonore aérienne toute en crescendo. Cela étant les albums précédentes du groupe étaient devenus plus difficiles d’accès, faisant moins confiance à une mélodie et davantage au bruit.
Rien de tel ici, avec des titres comme « BABYS IN A THUNDERCLOUD » qui fait la part belle au violon et parvient ainsi à offrir une exploration presque en douceur pendant plus de 13 minutes. Je trouve que l’on revient davantage aux premières compositions du groupe, sans jamais tomber dans la répétition. Comme toujours, Godspeed You! Black Emperor implique une écoute un minimum concentrée, même si c’est une musique idéale aussi pour se concentrer pendant une autre tâche. En l’écoutant quelques fois, on identifie les mouvements au sein de chaque titre, on découvre des mélodies subtiles, on apprécie davantage les changements de rythme et surtout de niveaux sonores. Comme toujours, c’est une musique complexe, dans le sens où elle ne s’impose pas immédiatement à vous et demande quelques rotations dans le casque pour appréhender chaque morceau et l’album dans son ensemble.
Son titre est peut-être bizarre, il est aussi éminemment politique, ce qui n’est pas une surprise quand on pense que le groupe a toujours revendiqué sa position très à gauche de l’échiquier et notamment anti-capitaliste. “NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024 28,340 DEAD” référence le génocide qui a toujours cours à Gaza et la colère des guitares ainsi que le rythme accéléré de la batterie est une évocation évidente de la guerre. C’est flagrant avec la progression de l’album : après quelques titres relativement doux, l’ambiance change et bascule dans la violence et surtout la colère. « PALE SPECTATOR TAKES PHOTOGRAPHS » a des allures de musique de film avec les percussions puissantes qu’on ne peut plus ignorer et une noirceur indéniable, où tout espoir de mélodie semble comme court-circuité par l’urgence et les alarmes. C’est un morceau intense et très réussi, qui me donnerait envie de revoir le groupe sur scène. Cette force, déjà bien sensible en studio, est tellement plus incroyablement brutale dans une salle de concert : si vous en avez l’occasion, c’est une expérience (épuisante) à vivre.