Javelin, Sufjan Stevens
Javelin surprend d’abord par sa pochette. Je ne sais pas si ce sont les lettres formées par la peinture rose en haut ou bien le photomontage en fond qui m’ont le plus marqué, mais on peut au moins lui reconnaître son originalité. Qu’importe, il s’agit du dixième album de Sufjan Stevens, le talentueux et prolifique musicien américain que je suis depuis bien des années, même si j’ai réalisé en ouvrant sa fiche Wikipedia que ses deux premiers albums en solo manquaient dans ma discographie. Il a commencé sa carrière en définissant un style unique, sur une base de folk, magnifiée par l’usage d’un grand nombre d’instruments variés qui tirent sa musique vers divers territoires, électroniques ou baroques. Ses morceaux sont partagés entre l’intimisme de sa voix seule accompagnée d’un banjo, à l’exubérance orchestrale où des dizaines d’instruments et de voix s’entremêlent. Un équilibre que j’avais toujours apprécié, mais qui avait un petit peu disparu ces dernières années, avec des albums solos plus sobres et de multiples collaborations et projets annexes plus expérimentaux.
Ce nouvel album revient aux fondamentaux. En dix titres, enfin neuf si l’on exclut la reprise de Neil Young sur la fin, Sufjan Stevens retrouve cette formule magique et l’empreinte sonore qui a fait sa réputation. Javelin m’a happé dès la première minute de « Goodbye Evergreen », un morceau très « sufjanesque » qui débute timidement et se termine dans une explosion sonore. C’est un schéma que l’on retrouve à travers tout l’album, sans tomber dans la répétition pour autant. Cet équilibre entre la voix fragile de l’interprète et les instrumentations complexes soutenues par des chœurs est une marque de fabrique qui fonctionne à mon avis parfaitement ici encore. Les titres sont tous assez courts, tout comme l’album qui dépasse à peine les 40 minutes, mais l’apothéose arrive sur la fin avec « Shit Talk » et ses huit minutes trente déchirantes (« I will always love you » en boucle) qui me donnent des frissons à chaque écoute. C’est le morceau le plus ambitieux sans doute, celui qui condense le mieux ce que l’artiste peut offrir et une magnifique composition qui alterne entre séquences calmes et explosives pour se terminer dans la douceur.
Savoir qu’il est dédicacé à la mémoire de son ancien compagnon — ce qui fait de Javelin un coming-out officiel pour son créateur — m’a rendu ce dixième album encore plus touchant. Il m’a aussi donné envie de réécouter tous les albums sortis avant lui et de passer en boucle sa musique. Sufjan Stevens a peut-être abandonné il y a bien longtemps son idée de raconter les États-Unis État après État, mais il n’a certainement pas perdu son talent musical.