
Birthing, Swans
J’ai toujours été particulièrement attiré par la musique « exigeante », celle qui ne s’impose pas dès la première écoute et qui demande au contraire plusieurs rotations dans le casque pour enfin se révéler pleinement. Est-ce de l’élitisme ? Sans doute en partie, mais je crois qu’il y a plus que cela. Quand on aborde un album « compliqué », comme le dix-septième de Swans, on doit décrypter deux heures de musique, sept morceaux dont cinq qui dépassent les 15 minutes et Birthing ressemble d’abord une sorte d’amas musical incompréhensible. Après quasiment vingt écoutes, la relation que j’ai formée avec ces titres d’abord obscurs et qui se sont petit à petit éclairés est nettement plus forte que sur des morceaux plus accessibles, qui perdent plus vite de leur saveur et ne restent pas autant en mémoire. Alors que s’il y a bien une caractéristique que l’on ne peut pas enlever au groupe américain mené depuis les années 1980 par Michael Gira, c’est bien de produire des compositions mémorables. Pas toujours agréables, surtout sur leurs débuts, jamais faciles d’accès, mais elles sont toujours intéressantes et souvent entêtantes.
Prenez « The Healers », titre de quasiment 22 minutes qui ouvre Birthing. Il représente bien le travail de Swans ces dernières années et tout particulièrement sur cet album, c’est un morceau qui évolue constamment en commençant quasiment avec la voix seule de Michael Gira avant de prendre de l’ampleur, tout en travaillant la répétition, thématique centrale du groupe. J’ai retrouvé mon amour pour le post-rock de Godspeed You! Black Emperor, notamment, dans ces longs titres qui ne savent pas rester sur une seule idée et qui emmènent leurs auditeurs le temps d’une longue balade. Pas une balade champêtre calme, notez bien, c’est au contraire souvent tumultueux, pour ne pas dire plus. Je reste toujours scotché par « The Merge » plus loin dans l’album, qui étouffe et déstabilise l’auditeur sous une avalanche de batterie dans les premières secondes, avant de poursuivre sur près de quinze minutes plus variées et subtiles que l’introduction ne le laisserait croire. C’est d’ailleurs un très bon morceau, d’abord largement instrumental et répétitif avant de faire une place à la voix de l’artiste pour un final étonnamment doux qui contraste avec la violence de l’introduction. Le meilleur exemple de la répétition entêtante, et c’est d’ailleurs le morceau qui me reste le plus en tête à chaque fois que j’écoute l’album, c’est bien « Red Yellow ». Étonnamment court avec ses moins de sept minutes, il lance après une brève introduction un obsédante ligne de basse qui ne quitte plus l’auditeur jusqu’au bout. C’est jouissif à écouter et j’imagine encore plus en concert.
Comme toutes les créations de Swans, Birthing demande un temps d’apprivoisement et il faut accepter de se laisser porter, voire d’être perdu dans les dédales d’un morceau. Pour autant, ce n’est pas une écoute déplaisante et je me fais la réflexion à chaque fois que j’entends les dernières notes de l’album qu’il ne semble pas si long qu’il n’est en réalité. C’est assez bluffant je trouve de passer deux heures en compagnie d’un groupe et de ne jamais avoir l’impression que c’est trop long. Même si la répétition est au cœur des compositions et même si le groupe prend son temps pour déployer des univers musicaux d’une incroyable richesse, rien n’est superflu dans cet ensemble et je retrouve la même impression que devant un excellent film : on ne voit pas le temps passer. Si la carrière de Michael Gira peut effrayer — je recommande au passage l’essai de Benjamin Fogel pour l’éclairer, c’est lui qui m’a donné envie de creuser —, ce dix-septième album de Swans est loin d’être la pire introduction.